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« Mercader, l’homme qui tua Trotsky » : une enquête entre espionnage et réalité historique

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Mercader, l’homme qui tua Trotsky, de Patrice Perna et Stéphane Bervas, nous renvoie aux méandres de l’enquête policière et de l’histoire politique du XXe siècle. Ce premier tome, publié aux éditions Glénat, propose une immersion glaçante dans le bloc de l’Est des années 1970. À travers une investigation menée en 1978 à Prague, l’album revisite l’assassinat de Léon Trotsky par l’un des espions les plus célèbres du NKVD : Ramón Mercader. Une lecture qui s’inscrit à la croisée de l’Histoire, de la politique et du polar d’espionnage.

L’album démarre en juin 1978, à Prague, où deux enquêteurs du SKPV, la police d’investigation tchécoslovaque, sont envoyés sur les lieux d’un possible suicide. La victime, tombée du cinquième étage, est un homme à l’identité multiple : Ramón Ivanovitch, Jacques Mornard, Franck Jacson, et surtout Ramón Mercader. Ce nom, familier aux férus d’histoire, est celui de l’homme qui assassina Léon Trotsky en 1940 à Mexico, un acte marquant de l’histoire de l’Union soviétique et du mouvement communiste international.

Patrice Perna et Stéphane Bervas, dans cet album, mêlent savamment fiction et vérité historique. Le récit est construit autour de la découverte d’un mystérieux manuscrit, retrouvé dans l’appartement de Mercader, qui revient sur les détails de l’« Opération canard », code utilisé pour désigner l’assassinat de Trotsky. Le cadre narratif, centré sur l’enquête menée par l’inspecteur Pavel Dvorak, permet de distiller progressivement des informations sur le parcours de Mercader, tout en résonnant avec les tensions géopolitiques de la Tchécoslovaquie communiste.

Le cœur de cet album repose sur l’évocation de l’assassinat de Léon Trotsky. Ramón Mercader, sous couvert de plusieurs identités, s’introduit dans l’entourage de Trotsky à Mexico au cours des années 1938-1940. Et pour comprendre comment il s’y est pris, une reconstitution minutieuse, sous forme de flashback, irrigue l’album et s’accompagne de détails historiques, notamment sur le rôle du NKVD, la police secrète soviétique, qui orchestre cette opération dès 1938, sous les ordres directs de Staline. Ce dernier, redoutant l’influence de Trotsky et ses critiques acerbes à l’égard du régime, le considère comme une menace à éliminer à tout prix. 

L’intrigue principale de l’album se déroule ainsi à Prague, en pleine guerre froide. Pavel Dvorak, jeune policier marqué par une histoire familiale traumatisante liée au nazisme, se trouve rapidement confronté à des forces qui le dépassent. Les autorités communistes de Tchécoslovaquie, en étroite collaboration avec le KGB, surveillent étroitement chaque étape de son enquête. L’ombre du KGB plane tout au long du récit, et les implications politiques du manuscrit de Mercader rendent l’affaire particulièrement délicate.

En parallèle, les auteurs nous plongent dans l’ambiance suffocante du bloc de l’Est. La présence des chaînes de télévision occidentales, considérées comme un privilège réservé aux agents du régime, ou encore la mention de la Coupe du monde, montrent comment la population aspire à un semblant de normalité au milieu des restrictions et de la surveillance omniprésente. La description de l’inspecteur Josef, un vétéran désillusionné et fainéant qui semble percevoir son métier comme un labeur absurde, ajoute une dimension très humaine à ce décor totalitaire. Au fond, que fait-il « dans cette bagnole pourrie en route vers ce bureau qui suinte l’humidité, à rédiger des rapports que personne ne lira sur des poivrots qui se jettent du cinquième étage » ?

Mercader, l’homme qui tua Trotsky interroge également la notion de vérité historique et de mythe. Si Mercader apparaît indiscutablement comme l’assassin de Trotsky, le manuscrit retrouvé dans son appartement en 1978 pose des questions cruciales. Est-ce bien Mercader qui en est l’auteur ? Le récit qu’il livre, entre espionnage et drame personnel, est-il une confession sincère ou les élucubrations d’un homme désabusé ? Pavel Dvorak, en cherchant à démêler le vrai du faux, se heurte à ces incertitudes. « J’ai surtout lu une histoire d’amour relativement banale enrobée dans un polar d’espionnage à peine crédible… Les élucubrations d’un mythomane ou d’un schizophrène qui se rêve en sauveur du communisme… »

Ce premier tome de Mercader, l’homme qui tua Trotsky s’impose comme un récit dense et fascinant. Après La Part de l’ombre, Pat Perna prend les commandes d’un nouveau diptyque historique, cette fois arrimé au personnage de Ramón Mercader. Les auteurs n’oublient pas de mentionner les forces révolutionnaires hostiles à Trotsky au Mexique, la mort de son secrétaire Rudolf Klement ou encore l’expulsion d’Union soviétique de l’ancien théoricien du léninisme. L’album, par son approche réaliste et documentée, constitue une véritable plongée dans l’univers oppressant du bloc de l’Est, tout en questionnant la place de la vérité dans l’histoire. 

Mercader, l’homme qui tua Trotsky, Patrice Perna et Stéphane Bervas
Glénat, septembre 2024, 56 pages

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