Le Temps des pivoines paraît aux éditions Glénat. Signé Aucha et Maxime Belloche, ce roman graphique constitue une fresque médiévale, une chronique de guerre, mais surtout une ode à la résilience, un manifeste discret contre l’arbitraire.
Jean n’est pas un héros au sens classique. Il est un homme de terre, de gestes simples et d’amour tranquille. Sa carrure, bien que massive, ne le destine aucunement à la guerre, mais bien aux récoltes, à l’élevage, à l’étreinte de sa fille. Pourtant, dans ce Moyen Âge rude et pétri d’archaïsmes, les paysans constituent des pions sur un échiquier d’ambitions. Lorsque Rolant, seigneur local tellement caricatural dans sa cruauté, décide de marcher contre son voisin Layon, Jean est arraché aux siens. L’enrôlement est forcé, la violence immédiate.
Rolant, héritier d’un trône qu’il gangrène peu à peu, est l’exacte antithèse du meunier : il est l’expression la plus crue de la pulsion de pouvoir. Sans subtilité, sans grandeur, il incarne un autoritarisme médiéval aveugle, brutal, boursouflé d’orgueil. C’est un seigneur sans terreau, un homme qui veut dominer, non diriger. Contraindre plutôt que convaincre. Un tyran de village, petit dans ses rêves mais dévastateur dans ses actes.
Quand Jean revient du front, c’est un autre homme. La guerre ne l’a pas rendu glorieux – elle l’a vidé, elle lui a exposé tout ce qu’il y a de pire et de plus absurde chez l’homme. Pis : son village n’est plus que cendres, et ses proches ne sont plus que souvenirs. Il erre, abîmé. Ses amis ont beau l’inviter, il refuse poliment. Toute son énergie va au travail. Et c’est là, dans cette désolation, qu’arrive Pivoine, enfant abandonnée sur le bord du chemin, promesse tombée du ciel.
Le récit bifurque alors. Jean s’adoucit sans s’apaiser. Il redevient vivant, non par oubli, mais par transmission. La petite Pivoine est lumineuse, porteuse d’une innocence farouche, presque sacrée. Le meunier redécouvre les joies de la vie familiale, il s’attache à cette enfant qui grandit auprès de lui. Mais malheureusement un peu trop près de Rolant.
Mais la paix n’est ici jamais qu’un sursis. Et lorsque Rolant revient hanter les terres qu’il a déjà ruinées, Jean ne fuit plus. Il s’érige. La résignation laisse place à la colère juste. On n’est plus dans la plainte : on entre dans l’action. Jean n’a pas d’armée, seulement une détermination nue, humaine, profondément altruiste. Il veillera, coûte que coûte, à ce que le baron ne puisse plus exercer son emprise néfaste sur ses ouailles.
Le Temps des pivoines touche alors à quelque chose d’universel : la nécessité de se lever devant l’insupportable. Ce dernier prend la forme du droit de cuissage, de l’impôt injuste ou de la violence psychologique. Le propos politique est là, limpide : la critique des hiérarchies absurdes, des seigneuries despotiques, des enrôlements barbares. C’est une fable antimilitariste en creux, une méditation sur le pouvoir et ses ravages.
Aucha et Maxime Belloche livrent une œuvre sobre, touchante, belle à s’en émouvoir. Il y a dans ces quelque 160 pages une densité que bien des romans graphiques peinent à atteindre. Une belle réussite.
Le Temps des pivoines, Aucha et Maxime Belloche
Glénat, mai 2025, 160 pages





