Avec La Marne : tenir à tout prix, quatrième volet de la série Les Grandes Batailles de chars, Vincent Brugeas, Marco Bianchini et Francesco Mercoldi nous plongent au cœur de la seconde bataille de la Marne, point d’inflexion de la Première Guerre mondiale. Alors que l’Allemagne mise tout sur son offensive du printemps 1918 pour écraser les Alliés avant l’arrivée en masse des troupes américaines, la France et ses alliés opposent une résistance acharnée.
Au cœur de l’album se trouve le Renault FT-17, ultime évolution de la stratégie et de la mécanique militaires. Conçu pour remédier aux impasses de la guerre des tranchées, ce char léger, doté d’une tourelle rotative et d’une meilleure mobilité, constitue un espoir pour Jean et ses hommes. Celui qui a participé à sa conception chez Renault voit d’ailleurs dans cet engin un lien symbolique avec sa défunte épouse Marie, qui prêtera son prénom au blindé. Cette machine, à la fois cercueil d’acier et protecteur des fantassins, reflète parfaitement l’ambiguïté de la modernité guerrière, capable de sauver ou de condamner, selon le camp dans lequel on se trouve.
Le choix de la forme épistolaire accentue la profondeur narrative de l’histoire, en mettant le lecteur en prise directe avec les état d’âme des personnages. Les échanges de lettres entre Jean, Marie, Francine et Abel structurent le récit et témoignent des liens qui unissent les personnages au-delà des lignes de front. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’Abel se soucie de la santé mentale de Jean, qui n’a plus rien à perdre et qui semble jouer son va-tout sur les champs de bataille. Les amitiés sont sincères, les griefs présents, et la guerre en conditionne les effets.
Les scènes de combat, justement, sont très bien illustrées, immergeant le lecteur dans le tumulte des explosions et des tirs croisés. Les vignettes saisissent à la fois l’intensité des affrontements et les silences lourds de signification à l’intérieur du blindé. Un contraste s’instaure en effet entre l’extérieur, ravagé par la guerre, et le huis clos du char, ce qui vient souligner une tension omniprésente.
Les auteurs parviennent à éviter l’écueil du simple récit héroïque en mettant en lumière les ambiguïtés morales de la guerre. La folie des batailles se traduit par la quête désespérée de certains hommes pour donner un sens à l’absurde. Le personnage de Jean, rongé par le chagrin, cherche presque inconsciemment à se fondre dans la mort pour rejoindre Marie. Mais la camaraderie, incarnée par Martial et Abel, joue un rôle crucial pour le maintenir en vie, l’empêchant de succomber à de quelconques pulsions sacrificielles. Cette relation fraternelle est au cœur du récit et le dispute à la logique guerrière. La Marne ne sacrifie pas les hommes sur l’autel de la guerre et trouve un parfait équilibre entre eux dans son récit.
Le dossier documentaire qui clôt l’album est une véritable plus-value pour les passionnés d’histoire militaire. En retraçant l’évolution des stratégies et des technologies liées aux chars, il éclaire les choix scénaristiques et replace l’épopée des FT-17 dans la chronologie des batailles décisives de la Grande Guerre. Finalement, avec ce qu’il faut de chair humaine, le récit interroge notre rapport à la guerre et à la mémoire, tout en rendant hommage aux « poilus d’acier » qui ont contribué à changer le visage des conflits modernes.
La Marne, Vincent Brugeas et Marco Bianchini
Glénat, janvier 2024, 64 pages