Khaled et Dobbs proposent chez Comix Buro la bande dessinée Hit the road. Celle-ci s’articule autour d’une vengeance personnelle et met aux prises des criminels endurcis tous liés, d’une manière ou d’une autre, à une jeune femme en quête d’émancipation.
Vicky a beau se faire doucement une place dans l’organisation criminelle de sa grand-mère, elle aspire secrètement à une carrière de tatoueuse indépendante. Au début de Hit the road, on la trouve sillonnant la ville de Reno à la recherche d’une clinique d’avortement clandestine. Parallèlement, Clyde sort de prison et s’apprête, avec l’aide de son frère Joe, à récupérer ce qui lui revient de droit. Le trait d’union entre ces deux personnages aux destins bientôt croisés ? Granny, une matriarche régnant d’une main de fer sur la mafia locale, grand-mère de l’une et fossoyeuse de l’autre, puisqu’elle l’envoya en prison sans le moindre scrupule.
Enseignant en histoire du cinéma, Dobbs aurait du mal à cacher ses filiations tutélaires : son récit de gangsters, traversé par une figure féminine virginale – à ceci près qu’elle cherche à avorter –, s’inscrit dans une veine cinégénique évidente et évoque notamment les frères Coen, par sa violence, ses caractères ou les ressorts dramatiques employés. Aux dessins, Khaled ne fait rien pour tempérer cette impression : un coucher de soleil sur des vallées désertiques, la faune urbaine nocturne, une place prépondérante accordée aux voitures, un mégot déformant le reflet d’une enseigne lumineuse en formant des ondes dans une flaque d’eau, une scène dans un café-restaurant perdu au milieu de nulle part, un braquage de clowns rappelant forcément The Dark Knight, des rencontres inopinées et/ou violentes… Les vignettes sont sublimes et les tableaux de la vie nocturne ou de la nature figurent parmi les plus remarquables de l’album.
Si le déroulement du récit s’avère plutôt classique, il nous réserve toutefois quelques surprises. Mais ce qui marque au premier coup d’œil, au-delà des relations familiales toxiques (à travers trois générations), c’est la noirceur qui caractérise chaque personnage : Hit the road est peuplé de gangsters, de violeurs, de magouilleurs, de tortionnaires… Quand Vicky demande son chemin, elle s’adresse à une femme à moitié nue à l’arrière d’un club. Lorsqu’elle et Clyde portent assistance à un couple dont le véhicule est tombé en panne, l’homme qu’ils secourent se révèle être violent et menaçant. Même la nature se montre impitoyable, à travers les rapaces et les serpents…
Ces derniers se lestent traditionnellement d’un pouvoir symbolique fort. Dans nos représentations, ils ont partie liée avec la guérison, la renaissance, mais aussi la mort. Est-ce un hasard si Dobbs et Khaled les emploient précisément à ces trois fins ? Car Hit the road, aussi désabusé soit-il, se clôture par un assassinat mais surtout un double accomplissement. Une alliance de circonstance suffit parfois à déjouer les pièges les plus retors.
On l’a vu, cette bande dessinée supporte plusieurs degrés de lecture, objectivés par des références cinématographiques ou l’usage d’animaux fortement connotés. Pour conclure, laissons le scénariste Dobbs nous en livrer un bref aperçu :
Dans Hit the Road, il y a un constant langage cinématographique et symbolique : du surcadrage enfermant les personnages, par exemple, aux multiples significations profondes des animaux croisés tout au long du récit, en passant par certains hommages à plusieurs réalisateurs américains, l’apparition de quelques véhicules iconiques, et le jeu portant sur les clichés des protagonistes du film noir, du film de casse, de l’horreur et du road-movie…
Hit the road, Khaled (dessin) et Dobbs (scénario)
Comix Buro, juillet 2020, 48 pages