Avec Les Contes de la Pieuvre, Gess nous plonge dans un Paris de la fin du XIXe siècle où la réalité côtoie le surnaturel. Ce quatrième opus, intitulé Fannie la renoueuse, met en scène des personnages complexes, dotés de pouvoirs extraordinaires, dans une lutte pour la survie et le contrôle d’un Paris gangrené par la plus puissante organisation criminelle de l’époque : la Pieuvre. À travers une narration ingénieuse et des dessins saisissants, volontairement suranné, Gess bâtit une œuvre remarquable mêlant action, psychologie et réflexion sociale.
Dans Les Contes de la Pieuvre, Gess recrée un Paris fin de siècle aussi réaliste que fantasmagorique. L’action se déroule en 1898, dans un contexte historique minutieusement retranscrit, mais bouleversé par l’introduction de talents surnaturels. Certains membres de la Pieuvre, organisation criminelle tentaculaire, possèdent des capacités spéciales : force surhumaine, invulnérabilité, maîtrise des langues ou encore pouvoirs hypnotiques. Ces dons extraordinaires s’ancrent ici dans une tradition européenne de surhumains issus des mythes et de la littérature fantastique du XIXe siècle.
L’organisation criminelle de la Pieuvre, dirigée par quatre figures redoutables symbolisant les sens (la Bouche, l’Oreille, le Nez, et l’Œil), impose sa loi dans un Paris en pleine mutation. Les talents de chaque membre ajoutent une dimension surnaturelle aux intrigues criminelles, créant une tension constante entre le fantastique et le réel. Les personnages évoluent dans des décors détaillés et authentiques, et le récit s’articule autour Fannie, la « renoueuse ».
Son talent lui permet d’entrer dans l’esprit d’autrui pour en guérir les traumatismes ou les contrôler. Son empathie la place au cœur de l’intrigue, notamment lorsqu’elle tente de sortir Zélie, la fille de la Bouche, de son état végétatif. L’échec de cette tentative la place cependant sous la coupe de la Pieuvre, et son destin se trouve lié à celui de son frère, Anatole, surnommé Chien-Fou, un homme à la peau invulnérable, retenu captif.
La galerie des personnages mis en vignettes inclut également la Bête, survivant d’une tentative de meurtre, Pluton, un homme de main mystérieux aux multiples talents, et donc la jeune Zélie, brillante mais plongée dans une catatonie dont les origines restent troubles. Autour d’eux, Gess va enchaîner les séquences d’action et les scènes d’introspection à un rythme soutenu, forçant le lecteur à s’immerger totalement dans cet univers. Il prend le temps de développer des scènes-clés, comme celle de la torture de Chien-Fou, qui souligne la cruauté de cet univers criminel, mais aussi la résilience de ses protagonistes.
Parallèlement, des scènes plus poétiques, presque oniriques, viennent tempérer l’action, offrant des moments de réflexion sur la nature humaine, le pouvoir et la mort. Et sur le plan visuel, Les Contes de la Pieuvre est également une réussite éclatante. Gess parvient à recréer le Paris de la fin du XIXe siècle avec un sens aigu du détail. Les couleurs, ternes et vieillottes, ajoutent une touche de nostalgie à l’ensemble, renforçant l’impression de plonger dans un autre temps.
Avec Les Contes de la Pieuvre, Gess, véritable maître conteur, a réussi à créer une œuvre singulière, à la croisée du roman feuilleton, de la bande dessinée franco-belge et du fantastique. Ce quatrième opus, Fannie la renoueuse, est une véritable fresque où le surnaturel côtoie des thématiques plus universelles comme la résilience, le pouvoir et l’empathie. Chaque personnage est développé avec une grande finesse, et l’univers, à la fois riche et cohérent, tient le lecteur en haleine de bout en bout.
Fannie la Renoueuse, Gess
Delcourt, septembre 2024, 208 pages