Les éditions Glénat publient le premier tome d’une nouvelle série prometteuse intitulée Electric Miles. Fabien Nury et Brüno nous entraînent dans un thriller fantastique, un hommage à l’âge d’or des pulp magazines des années 40 et aux auteurs déchus.
Los Angeles, 1949. Morris Millman, agent littéraire, croise un jour, par hasard, dans un magasin de comics, son idole, Wilbur H. Arbogast, un écrivain prolifique des années passées, aujourd’hui quelque peu désoeuvré. Celui qui était autrefois une figure emblématique du magazine pulp Outstanding semble avoir perdu l’inspiration, mais Morris part du principe qu’il a peut-être un dernier chef-d’œuvre à livrer, et décide de l’aborder.
Tandis que la conversation s’initie entre eux, Wilbur confesse à demi-mot avoir voulu offrir au monde une œuvre capable de tout bouleverser. Un texte d’une telle puissance qu’il a provoqué le chaos dans la vie de ceux qui l’ont lu, raison pour laquelle il a décidé de le ranger dans un tiroir, où il prend la poussière depuis lors.
Attiré par l’idée de remettre son auteur favori sur le devant de la scène, Morris Millman fait tout ce que bon agent ferait à sa place : forcer la main de l’auteur, le pousser à accepter un entretien avec des éditeurs intéressés. Sans le savoir, il s’engage dans une aventure bien plus dangereuse qu’il n’y paraît… Wilbur entend redéfinir le monde. L’agent ne saisit pas d’emblée la gravité de ce qu’il accepte.
Le duo Nury / Brüno nous offre un thriller fascinant qui mêle habilement le fantastique à l’introspection psychologique. Si le récit se leste d’une tension croissante, il interroge aussi sur l’acte de création lui-même, sur les motivations profondes qui poussent certains à créer des univers entiers – voire des religions.
L’acte de création est érigé en personnage à part entière. Wilbur Arbogast, ce créateur déchu, est lancé dans une quête éperdue, celle d’une œuvre potentiellement dévastatrice, au fort potentiel commercial mais surtout sociétal. Fabien Nury interroge cette ambiguïté propre aux auteurs, entre génie créatif et démesure destructrice.
Plus le récit avance, plus Wilbur Arbogast se fait mystérieux et complexe. Il incarne cette part d’ombre présente en chacun de nous : le désir de laisser une trace impérissable, d’aller au-delà de la fiction et de devenir maître de la réalité elle-même. Il y a quelque chose qui tient du syndrome de Frankenstein dans son rapport à l’écriture.
L’influence de Philip K. Dick et Stephen King, deux maîtres du fantastique et de la science-fiction, est palpable tout au long du récit. La fragilité de la réalité et ses nombreuses distorsions tiennent une bonne place dans Electric Miles. Le doute, la manipulation mentale et l’ambiguïté entre le réel et l’imaginaire prennent ici une forme littéraire fascinante.
Brüno livre un travail graphique remarquable, enrichi de jeux de lumière et de clairs-obscurs. Il restitue à merveille le parcours psychologique du protagoniste, jouant avec l’espace et le vide pour représenter la folie qui s’installe petit à petit. Le regard de Wilbur, perdu derrière ses lunettes noires, symbolise parfaitement sa distance avec la réalité et l’ambiguïté de son rôle : un créateur qui, tout en étant observé, semble en réalité observer et manipuler le monde autour de lui.
Electric Miles est prometteur et ouvre des perspectives passionnantes. Le duo Fabien Nury et Brüno nous plonge dans un univers où l’imaginaire et la réalité se confondent, où la folie créatrice d’un écrivain déchu pourrait bien redéfinir le monde. Au terme de cette lecture, le lecteur se trouve suspendu, dans l’incertitude, se demandant si ce qu’il a traversé n’était qu’un rêve ou un véritable voyage dans les dédales de la création.
Electric Miles : Wilbur, Fabien Nury et Brüno
Glénat, avril 2025, 104 pages





