Calamity Jane, le dernier album de la série « La Véritable Histoire du Far West », de Marie Bardiaux-Vaïente et Gaelle Hersent et publié par les éditions Glénat, propose une vision contemporaine et nuancée de Martha Jane Cannary, mieux connue sous son pseudonyme. Femme indomptable et controversée, Calamity Jane navigue sans cesse entre ses propres récits mythologiques et une réalité souvent plus crue. Cette bande dessinée explore une période particulière de sa vie, lorsqu’elle se trouve à Deadwood, en compagnie de Wild Bill Hickok…
L’une des forces principales de Calamity Jane réside dans la manière inventive dont la bande dessinée est structurée pour différencier les récits de la protagoniste. Lorsque Jane narre ses souvenirs, souvent bravaches et teintés d’affabulations, les illustrations adoptent un style plus rudimentaire avec des couleurs délavées, marquant une rupture visuelle qui reflète en seconde intention l’incertitude entre la réalité et la fiction. En racontant ses exploits, C.J. capte l’attention des habitués du saloon de Deadwood, faisant de ses récits une arme redoutable pour s’affirmer dans un monde où les femmes comme elle ne sont ni attendues ni acceptées.
Jane est en effet dépeinte comme une figure de transgression sociale. Sa simple présence dans un bar peut provoquer des réactions violentes ; elle se voit par exemple refuser à boire au même titre qu’un homme noir ne peut consommer à l’intérieur du saloon. Ces moments illustrent le racisme et le sexisme omniprésents dans l’Amérique du XIXe siècle, mais aussi la manière dont Calamity Jane s’est construite une réputation de rebelle et d’insoumise face à ces normes oppressives, qu’elle rejette en bloc et avec style.
À travers ses multiples rôles – cuisinière, lingère, conductrice d’attelage ou infirmière pendant l’épidémie de variole –, Jane se distingue par sa polyvalence et son refus des codes de genre. Elle est perçue comme un « demi-homme » par ceux qui l’entourent, une figure qui refuse les assignations traditionnelles de la féminité. Dans une époque où les femmes ne sont pas acceptées dans l’armée, son aspiration à la même liberté que les hommes la place ainsi en avance sur son temps, en tant que féministe non déclarée mais évidente.
L’album met en lumière cette tension entre son désir de se réaliser pleinement et la perception qu’en ont les autres. Dans la reconstitution de la vie à Deadwood, l’album montre parfaitement comment Calamity Jane construit son propre mythe à travers ses récits oraux, un phénomène amplifié par sa consommation d’alcool qui, paradoxalement, nourrit à la fois sa réputation et ses déboires. Ce sont ces mêmes récits qui la maintiennent vivante dans la mémoire collective, même si la frontière entre la vérité et la légende demeure floue.
En donnant une voix à Jane, en contextualisant son existence à l’aune d’une enfance difficile, les autrices ne se limitent pas à l’illustration d’une biographie précise ou chronologique. Au lieu de cela, elles cherchent à comprendre ce qui l’anime, son besoin constant de se raconter et de réinventer ses propres aventures. Mais surtout de s’affranchir des contraintes et des assignations sociales. À travers ses nombreuses histoires, Calamity Jane apparaît comme un symbole d’autodétermination et d’affirmation de soi, combattant la marginalisation par l’appropriation de son propre récit.
Calamity Jane se distingue par son portrait moderne d’une femme en quête de liberté, affrontant les normes de son temps avec une résilience peu commune. Marie Bardiaux-Vaïente et Gaelle Hersent nous parlent inévitablement de la redéfinition des rôles de genre et de la résistance aux stéréotypes. Cet album constitue en sus un hommage à toutes celles qui ont choisi de vivre selon leurs propres termes, quels qu’en soient les risques, et ce y compris dans l’Ouest sauvage souvent perçu comme viriliste. Un très bel album, dont le caractère débridé coïncide parfaitement avec l’héroïne.
Calamity Jane, Marie Bardiaux-Vaïente et Gaelle Hersent
Glénat, septembre 2024, 56 pages