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« Abba dis donc ! » : le retour de Conrad et Paul

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le dernier album de Ralf König, Conrad et Paul : Abba dis donc ! (Glénat) nous ramène dans l’univers truculent de deux figures incontournables de son œuvre. À travers des anecdotes cocasses et un quotidien marqué par une forme d’obsession charnelle, l’auteur et dessinateur continue de scruter les travers de la société contemporaine.

L’humour de Ralf König possède une douceur ironique et une vivacité intérieure qui se glissent dans chaque situation du quotidien. Sans lourdeur compassée, il saisit les fragilités, les contradictions, les obsessions et les plaisirs simples de ses personnages, volontiers fragiles et obsessionnels, et les expose avec un sens du détail qui respire la tendresse. Il y a là une façon de transformer le banal en quelque chose d’irrésistiblement drôle, sans jamais forcer le trait de manière excessive. En tant que lecteur, on en devient presque complice, et cela naît moins du sarcasme que de l’observation.

Conrad et Paul se retrouvent confrontés aux affres du second hiver pandémique. Les masques étouffent autant que les frustrations accumulées. Ralf König s’attarde avec mordant sur les petites contradictions du quotidien. Comme souvent chez lui, l’arrière-plan est peuplé de figures caricaturales, mais jamais dénuées d’ancrage. On retrouve ainsi la sœur anti-vax, réticente à la vaccination mais avide de soutiens financiers. Elle symbolise à elle seule cette défiance généralisée envers les institutions. Sa rhétorique confuse, faite d’amalgames et de théories absurdes, illustre la cacophonie d’opinions qui a marqué les années COVID.

Mais il y a bien plus important dans l’album : Romano, le mystérieux « câlineur professionnel ». Paul, fasciné par cet homme dont l’emploi repose sur la seule promesse de proximité physique, se laisse entraîner dans une spirale de désir et de frustration. Ralf König traite cette situation avec un mélange d’humour cru et de tendresse, dévoilant les failles affectives de son personnage tout en interrogeant les nouvelles formes de solitude dans un monde pandémique. Il y a quelque chose de délicieux dans la manière dont Paul s’abandonne à une pratique qui, initialement, le laissait perplexe. Et après avoir tenté de se donner de la contenance, il finit par céder complètement, ce qu’illustre parfaitement le fait de sucer le pouce, tel un enfant, de son compagnon de jeu…

Conrad et Paul : Abba dis donc ! se distingue par son regard acéré sur les absurdités de notre époque. Ralf König joue habilement, comme à son habitude, avec les codes du grotesque pour dénoncer, dans une veine humoristique, tous les travers de notre société. Les obsessions conspirationnistes, l’essor des services insolites comme celui de Romano ou encore la frénésie consumériste autour de produits culturels (à l’image du nouvel album d’Abba) forment autant de miroirs déformants, révélateurs d’une société en crise.

Avec ce nouvel opus, Ralf König prolonge l’esprit irrévérencieux qui caractérise ses œuvres précédentes. Comme dans Le Temps d’un virus, il mélange astucieusement humour et gravité, transformant les angoisses collectives en matière comique. À mi-chemin entre la farce et la satire, l’album vaut autant pour ses personnages attachants que ses situations absurdes et son regard critique.

Conrad et Paul : Abba dis donc !, Ralf König
Glénat, décembre 2024, 192 pages

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