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« François Truffaut, la passion des seconds rôles » : l’art des personnages secondaires

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dans François Truffaut, la passion des seconds rôles, Armand Hennon, cinéphile passionné et fondateur de l’Association des amis de François Truffaut, se penche sur les personnages secondaires de l’un des porte-étendards de la Nouvelle vague. De quoi offrir une évocation minutieuse de l’importance et de la complexité de ces personnages souvent négligés, révélant combien François Truffaut voyait en eux des fragments de lui-même et de sa propre vie.

Armand Hennon a fondé en 1988, après la disparition du cinéaste, L’Association des amis de François Truffaut. Cette organisation rassemble des cinéphiles, des proches et d’anciens collaborateurs du réalisateur des 400 Coups. Ce cadre de référence permet à l’auteur d’aborder son sujet avec une connaissance intime de l’univers truffaldien, enrichie par des témoignages et des anecdotes de première main.

Dans cet ouvrage, Armand Hennon met tôt en lumière l’importance de Suzanne Schiffman, l’assistante et scénariste de François Truffaut, décrite comme une présence maternelle sur les plateaux et comme un atout précieux dans le choix des acteurs. Son nom reviendra régulièrement en raison de sa centralité dans l’œuvre truffaldienne et vis-à-vis des comédiens.

Premier tour de force : Armand Hennon retrouve Patrick Auffay, acteur dans Les Quatre Cents Coups, pour discuter de l’impact que ces seconds rôles ont eu sur les films de Truffaut. Le cinéaste voyait souvent en eux des échos de ses propres expériences de vie, ce qu’il reconnaît lui-même en expliquant qu’il se retrouvait dans les personnages incarnés par des enfants comédiens ou des adultes secondaires.

François Truffaut, la passion des seconds rôles se déploie à travers une multitude de portraits d’acteurs et actrices secondaires que François Truffaut a choisis et dirigés. Ces personnages, loin d’être des figures accessoires, deviennent au contraire des éléments-clés de l’univers truffaldien. Ils peuvent modifier la coloration d’un film, apporter une présence ou une voix, porter en bandoulière certaines thématiques spécifiques, compléter une représentation de plus en  plus chorale à mesure que la carrière de Truffaut avançait.

On découvre par exemple le rôle essentiel de René Barnérias, maire de Thiers, qui a tout mis en œuvre pour faciliter le tournage de L’Argent de poche, qui a impliqué toute la ville dans une grande aventure cinématographique. Nathalie Baye, engagée dans le rôle d’une script-girl pour La Nuit américaine, y fait preuve d’une énergie et d’une indépendance remarquables, marquant le début de sa brillante carrière. On découvre également comment François Truffaut a perçu Nicole Berger comme une « future vedette en herbe » après leur rencontre à Cannes, ou comment Nelly Borgeaud s’est vu proposer un rôle plus audacieux et sexy dans L’Homme qui aimait les femmes.

Pour François Truffaut, les personnages secondaires ne sont pas de simples faire-valoir des rôles principaux. Il s’oppose fermement au « cinéma à papa » qui sacralisait les vedettes au détriment des autres rôles, les caricaturant et les vidant de leur substance. Armand Hennon montre comment le cinéaste a subtilement infusé ces rôles secondaires de facettes de sa propre personnalité, souvent de manière discrète mais toujours significative.

Ainsi, Cyril Cusack, dans son rôle de chef pompier dans Fahrenheit 451, apporte une humanité profonde à un personnage d’abord perçu comme un ennemi de la lecture. De même, Daniel Ceccaldi insuffle une dose d’humour à La Peau douce, tandis que Guy Decomble, interprétant le professeur tyrannique des 400 Coups, incarne la figure autoritaire mais inoubliable de l’école française des années 50. Philippe Léotard n’est pas sans parentés avec Truffaut : la famille autoritaire, l’armée, le refuge dans la lecture… Il voit sa carrière lancée par celui avec lequel il entretiendra une correspondance particulière…

On l’a vu, les femmes de l’univers de Truffaut ne sont pas en reste. Brigitte Fossey, dans L’Homme qui aimait les femmes, introduit un féminisme subtil qui s’oppose aux conventions machistes, équilibrant ainsi la dynamique du film. Le personnage de Claire Maurier, qui incarne l’un des rares personnages antipathiques de Truffaut, est également un reflet de la complexité des relations familiales du réalisateur, en écho avec sa propre mère.

Le livre se conclut avec des entretiens inédits de figures ayant travaillé de près avec Truffaut, comme Michel Bouquet, Nathalie Baye et, bien entendu, Patrick Auffay. Ces témoignages apportent une perspective unique sur la manière dont le réalisateur considérait ses collaborateurs et comment il les intégrait à son processus créatif. 

Armand Hennon ne se contente pas de dresser une liste de noms et de films ; il se lance dans une analyse poussée de la manière dont François Truffaut utilisait ses seconds rôles pour enrichir ses récits et souligner des thèmes récurrents tels que l’enfance, l’amour, la trahison et la quête de liberté. François Truffaut, la passion des seconds rôles constitue à cet égard un hommage aux acteurs « de l’ombre » qui, par leurs performances, ont contribué à la grandeur d’une œuvre passée à la postérité. 

François Truffaut, la passion des seconds rôles, Armand Hennon
LettMotif, septembre 2024, 460 pages

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