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Penser le monde comme des « Enfants de Platon »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Ouvrage collectif placé sous la direction de Nathalie Monnin, Enfants de Platon s’approprie la pensée platonicienne pour radiographier le monde actuel. La recherche de la vérité, les réseaux sociaux ou encore l’individualisme se trouvent en bonne place dans l’ouvrage.

Enfants de Platon est composé de plusieurs textes, le plus souvent d’une dizaine de pages, s’appuyant sur les réflexions platoniciennes pour éclairer le monde actuel. Amine Boukerche s’intéresse par exemple à la révolution numérique par le truchement de la philosophie. L’opinion s’y oppose souvent à la raison, le doute cartésien y est peu à peu écarté et l’inflation des discours concurrents sur la vérité contribue à peupler la fameuse caverne de Platon. L’auteur en appelle par ailleurs à un travail d’éducation permettant de lutter contre les connaissances superficielles et les jugements à l’emporte-pièce (on pense forcément à l’effet Dunning-Kruger). Le texte de Patricia Limido en est un prolongement intéressant en ce sens que l’hyper-individualisme qu’il décrit aboutit à l’équivalence des opinions, elle-même nourricière de la désinformation et d’une ère de post-vérité. C’est aussi ce culte de soi qui incite au rejet des autorités (scientifiques, institutionnelles, journalistiques…).

L’allégorie de la caverne fait l’objet d’un travail d’analyse de Kévin Cappelli. Platon y décrit l’état de personnes dont le seul contact avec le monde s’opère à travers des ombres et des échos. Leur éveil à la réalité nécessite alors une conversion (brusque et douloureuse, une sorte d’arrachement à leurs prénotions) et un phénomène d’habituation à de nouvelles perceptions (aux Idées, à la Vérité). Dans le chapitre qui précède, Sylvain Garniel avait rappelé que sagesse, courage, modération et justice sont les quatre vertus cardinales nécessaires à la vie politique de la Cité (selon le Livre IV de La République). Il évoquait aussi la nécessité platonicienne de s’ouvrir aux autres et d’analyser, mais aussi de mener un travail réflexif sur soi-même avant de se lancer dans la gouvernance collective. Pour Platon, par ailleurs, la démocratie est imparfaite et la Vérité suppose une sorte d’aristocratie initiée.

Passionnant, Enfants de Platon s’empare de certaines problématiques à travers des prismes pour le moins originaux. Gabriel Mahéo et Gérard Amicel traitent respectivement de l’intersubjectivité et d’une généalogie non aliénante. Le premier, s’appuyant sur Husserl, conçoit l’unité du monde comme l’interaction de nos expériences subjectives. C’est la communication des idées, la mise en commun et l’harmonisation des pratiques qui érigent la diversité en moteur de l’unicité. Cependant, des discordances et des rapports de domination (coloniaux ou économiques, par exemple) peuvent s’installer, la réciprocité faisant alors défaut, cela conduisant à une réponse politique. Gérard Amicel se penche sur le renouvellement continuel des sociétés et la façon dont elles parviennent malgré tout à conserver leur unité. Si l’habitus et les traditions permettent de s’orienter dans le monde, des penseurs tels que Sartre ou Kant ont érigé la filiation ou le grégarisme en aliénation. L’auteur défend cependant la cohabitation de l’émancipation et de la tradition, dans une conception généalogique non aliénante.

Enfants de Platon, ouvrage collectif sous la direction de Nathalie Monnin
Apogée, septembre 2021, 144 pages

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