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« Atlas des guerres à l’époque moderne » : flux et reflux du monde

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Autrement publient un passionnant Atlas des guerres à l’époque moderne, réunissant Olivier Aranda, Julien Guinand, Caroline Le Mao et Mélanie Marie. Enjeux territoriaux, économiques, diplomatiques s’y conjuguent dans un monde en mutation permanente.

L’Atlas des guerres à l’époque moderne nous plonge avec force détails dans les conflits des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. L’ouvrage est co-écrit par Olivier Aranda, professeur agrégé d’histoire, Julien Guinand, enseignant en histoire à l’Université catholique de Lyon, et Caroline Le Mao, maîtresse de conférence en histoire moderne. Il est augmenté des cartographies éclairantes de Mélanie Marie. Les auteurs passent en revue les premières guerres d’Italie, les conflits du royaume de France sous Henri II, la période Sengoku du Japon, les enjeux territoriaux sur les continents américains, les économies de la guerre navale, l’expansion de la Russie de Pierre Le Grand à Catherine II, la guerre de Sept ans, le conflit civil en Vendée ou encore le siège pendant la Révolution.

Le chercheur en sciences sociales Charles Tilly affirmait que « la guerre a fait l’État et l’État a fait la guerre ». Cette assertion est amplement corroborée dans l’atlas. Ce dernier témoigne également d’une sorte de « darwinisme politique » en vertu duquel seuls les États capables de remporter les batailles armées menées contre leurs voisins survivent et se pérennisent. La guerre a en effet poussé les États à se structurer pour devenir plus forts. John Brewer évoque à cet égard un État qualifié de « militaro-fiscal ». Olivier Aranda, Julien Guinand, Caroline Le Mao et Mélanie Marie démontrent aussi comment l’expansion coloniale a entraîné des conflits élargis bien au-delà du vieux continent, ayant pris une dimension mondiale. On peut ainsi considérer la guerre de Sept ans comme la première « guerre mondiale », menée à la fois sur les théâtres européen et américain.

L’Atlas des guerres à l’époque moderne se penche sur les positions, les mouvements et les configurations des troupes, ainsi que sur les flux matériels. Il inclut des cartes maritimes, coloniales ou relatives aux conflits étudiés. Prenant en charge des périodes différentes, les auteurs examinent scrupuleusement, avec pédagogie, les événements marquants des trois siècles qu’ils parcourent. Le XVIe siècle coïncide avec l’affirmation d’une nouvelle puissance de feu liée à la diffusion d’armes à poudre noire, au gonflement des effectifs militaires et des besoins logistiques ou financiers des armées. Longtemps, le mercenariat s’impose comme la solution la plus commode aux nécessités humaines. Les contrats souscrits avec des entrepreneurs privés s’effacent cependant peu à peu au profit des accords signés avec d’autres gouvernements. Mais à d’autres occasions, les nations belligérantes recourent au recrutement forcé, comme en Angleterre, ou enrôlent les condamnés de droit commun, les vagabonds ou les mendiants. Pour financer leurs conflits, les recettes fiscales et les emprunts seront de plus en plus sollicités.

De l’Italie morcelée du XVIe siècle aux prétentions hégémoniques des empires ottoman ou moghol, des forces supplétives suisses ou germaniques aux chocs bactériologiques décimant les populations amérindiennes, l’Atlas des guerres à l’époque moderne n’omet rien de la marche (militaire) du monde. Et certains événements s’y déploient à travers leurs ramifications multiples. Il en va notamment ainsi de la guerre de Trente ans : elle déchire l’Europe entre 1618 et 1648, aboutit aux traités de Westphalie, nourrit l’affrontement entre le France et l’Espagne (jusqu’en 1659 et la paix des Pyrénées), lequel occasionne à son tour des révoltes populaires et la crise politique de la Fronde parlementaire. La guerre de Sept ans produit elle aussi des effets par ricochets : non seulement elle se joue d’Europe jusqu’en Amérique du Nord en passant par les Antilles ou l’Inde, mais elle implique Français, Anglais, puis Espagnols à partir de 1762. La France perd, à sa suite, la totalité de ses possessions en Amérique du Nord : la Nouvelle-France passe ainsi, pour ne citer que cet exemple, sous contrôle anglais.

Il serait illusoire de chercher à résumer le propos des auteurs tant ce dernier apparaît dense et transversal. On peut néanmoins évoquer quelques-unes des figures qu’il convoque : le conquistador espagnol ou portugais y côtoie l’autochtone assailli, le vieux continent chrétien s’y heurte aux ambitions impériales de Selim ou Soliman le Magnifique, l’unificateur japonais Toyotomi Hideyoschi cherche à conquérir l’Empire Ming avec des conséquences désastreuses et dévastatrices sur la péninsule coréenne, aussitôt pillée et dépeuplée… En moins de 200 pages, les auteurs parviennent à synthétiser de manière limpide et fidèle trois siècles d’histoire armée. Ils évoquent les navires et leurs évolutions, l’état de siège, les fortifications à la Vauban, les destins croisés des empires moghol et songhaï et même, preuve d’un souci du détail, les évolutions numériques de la garde de la frontière hongroise au moment où Charles Quint et ses alliés affrontaient les Ottomans. Si l’exhaustivité demeure en pareille entreprise un vœu pieu, force est de constater que cet atlas entreprend de s’en approcher autant que possible.

Atlas des guerres à l’époque moderne, Olivier Aranda, Julien Guinand, Caroline Le Mao et Mélanie Marie
Autrement, février 2023, 192 pages

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