Norskov, le nouveau souffle du polar nordique
Un discours politique, celui du maire de la ville danoise, Norskov. Il a de grands projets pour la ville, un éco-port, un nouveau lycée… Le discours terminé, il se rend au match de hockey sur glace, sport fédérateur de la ville. Le stade est en ébullition. Pendant ce temps, une voiture emplie arrive sur le parking du bâtiment. À l’intérieur du véhicule, des jeunes gens sont énervés, excités. L’un d’eux sort une quantité importante de cocaïne. Un autre garçon, Oliver, est débecté de voir ça, il sort de la voiture et part voir le match. Les autres se « poudrent le nez » de manière inconséquente. L’une des jeunes femmes sniffe deux rails blancs. Elle souffre au niveau du crâne, ses camarades paniquent. Elle fait une overdose. La voiture quitte le parking sur les chapeaux de roue, laissant sur le pavé du parking la lycéenne. Ainsi commence Norskov, la série policière danoise créée et scénarisée par Dunja Gry Jensen, dont les trois premiers nous ont été présentés en avant-première française au festival Séries Mania.
Tom Noack (interprété par Thomas Levin, notamment aperçu dans Borgen), policier spécialisé dans les trafics de stupéfiant, revient dans sa ville d’origine, Norskov. Au service de la ville qui l’a vu grandir, il doit enquêter sur les affaires de drogues minant la cité et ses grands projets. Le maire, son beau-frère, est satisfait de ce retour, et compte sur lui pour réussir sa mission. Mais la ville a changé, certains amis et d’autres connaissances aussi. On pourrait dire du pitch de la série qu’il n’est pas brillant d’originalité, nous assure le présentateur de la séance. Après tout on y retrouve du Friday Night Lights, du Hot Fuzz ou encore l’aspect village transformé de L’invasion des profanateurs de sépulture. Et pourtant, Norskov ne manque pas de l’être, brillante.
La force du show se situe dans le scénario et son traitement visuel, le récit donc. Car à l’inverse des espaces froids et glauques aperçus dans des séries nordiques (The Killing par exemple) et plus largement des polars, Norskov se présente à de nombreuses reprises comme une ville vibrante et vivante la nuit mais toutefois plongée dans ses ténèbres. Une bande-son électro fait de cette ambiance urbaine nocturne un élément passionnant véritablement inspiré par Michael Mann : on pense à Heat et Manhunter. Élément qui fait transcender la série de son genre pour l’exposer en tant qu’œuvre sur l’humain.
Si le traitement de la ville tient presque du travail de symbolisme même si elle reste souvent filmée à hauteur d’homme, à partir du point de vue d’un personnage, le reste de l’action est justement caméra à l’épaule. L’objectif accompagne les faits et gestes des personnages principaux, et de ceux qui occupent l’espace investi. Ainsi l’introduction du pilote capture le discours du maire, puis les corps sportifs sur la glace, leurs coups de crosse, leurs mouvements de patins, et ceux des jeunes se droguant : la tête se penche, la narine se resserre tandis qu’elle sniffe. En cela, il s’agissait de capter une double euphorie, celle due par l’annonce de grands projets collectifs et l’expérience aussi collective – on dira même communautaire – du sport, et l’autre, causée par les ténèbres de l’humain, sa folie, et surtout sa perte, incarnée par la drogue dure. Il ne s’agit pas pour la créatrice-scénariste de juger de manière manichéenne les agissements des individus. Bien au contraire, Dunja Gry Jensen utilise toute son expérience du documentaire (et bien sûr celle acquise dans la fiction) pour filmer les faits et gestes des individus et du collectif, captant les vérités individuelles et la réalité collective. La série capte ainsi de manière réaliste et surtout naturaliste Norskov, ses habitants et ses événements. Hormis quelques images stylisées à coup de musique électro contemplative (par exemple, les plans sur la ville), la série tient presque du document sur le fonctionnement judiciaire et politico-administratif de Norskov. Ici, pas de flic avec un sixième sens, mais des agents travaillant ensemble, avec chacun leurs qualités. Brammar, le collègue de Tom, a le sens de la répartie et du relationnel, en plus d’être un agent efficace. Tom est plus discret, mais a le sens de l’observation, tout étant aussi un policier efficace, c’est-à-dire expérimenté, connaissant son métier, son cadre légal en termes d’action… Ici il ne s’agit pas de l’agent qui va organiser une opération d’attaque sur un repère sans mandats d’arrestation et de perquisition. Les lois existent dans la série telles qu’on les connaît, avec leurs contraintes, telles que le temps nécessaire pour obtenir une autorisation d’action, temps qui pourrait leur faire perdre des initiatives. Pareil du côté de la mairie où le beau-frère de Tom trichera quelque peu avec ces mêmes lois pour se jouer de ce temps qu’il n’a plus.
Cette force de documentation et de captation des faits et gestes de personnages de deux univers différents mais collaborant ensemble n’est pas sans rappeler The Wire de David Simon. Enfin l’une des autres puissances remarquables de la série est sa galerie de personnages, leur écriture et interprétation. Il ne s’agit pas de jouer à un jeu de révélation, ou encore à une certaine sur-écriture humoristique pour rentrer dans le genre de la comédie. La vie se déroule devant nous, ainsi une blague tout à fait banale déjà vécue dans votre quotidien et faite pas les personnages les font rire comme ils nous font rire. Il y aura toutefois une importante révélation dans le troisième épisode, mais qui n’arrive pas comme un poil sur la soupe même si dans la salle, bien des spectateurs semblaient surpris. Soit les indices étaient maigres, mais tout de même. À voir comment avancera la série.
CineSeriesMag vous conseille absolument la découverte de ce petit joyau télévisuel venu du nord. Vous pourrez d’ailleurs le découvrir prochainement sur Arte. Une dernière remarque : ayant pu découvrir les séries sur grand écran, nous avons été positivement surpris du potentiel cinématographique de Norskov, qui mériterait une place sur le grand écran.
Norskov: Fiche Technique
Créateur: Dunja Gry Jensen
Scénariste: Dunja Gry Jensen
Réalisateur(s) : Louise N.D. Friedberg, Birgitte Stæremose, Søren Balle
Avec Thomas Levin, Claus Riis Østergaard, Jakob Ulrik Lohmann, Anne Sofie Espersen
Producteur (s): SF Film Production
Vendeur international DR Sales
Diffuseur(s) Danemark : TV2 Danmark / diffuseur France : ARTE
Année de production 2015
Pays Danemark