Voilà l’exemple même d’une œuvre forte et intelligente qui s’empare d’un sujet abrasif au possible – polémique même – et le traite avec une efficacité et une sobriété qui confinent à la perfection. Jouer avec le feu est un film nécessaire, en plus d’être éminemment contemporain. Porté par trois acteurs en état de grâce, ce drame feutré concentré sur un noyau familial à trois têtes privilégie les silences et les regards sans pour autant négliger la démonstration. Il nous serre la gorge et nous émeut, tandis que ce glissement progressif d’un fils vers l’extrémisme, sous les yeux d’un père impuissant, devrait être montré dans les écoles tant il est objectif, intense et frénétique. Les sœurs Coulin réalisent là un long-métrage puissant et indispensable.
Synopsis : Pierre élève seul ses deux fils. Louis, le cadet, réussit ses études et avance facilement dans la vie. Fus, l’aîné, part à la dérive. Fasciné par la violence et les rapports de force, il se rapproche de groupes d’extrême-droite, à l’opposé des valeurs de son père. Pierre assiste impuissant à l’emprise de ces fréquentations sur son fils. Peu à peu, l’amour cède place à l’incompréhension…
Troisième long-métrage des sœurs Coulin après le remarqué et intéressant 17 filles, suivi de Voir du pays, Jouer avec le feu devrait être le film de la consécration pour la sororité. Elles adaptent un roman qui avait fait grand bruit dans le monde littéraire en 2020 : Ce qu’il faut de nuit. Si le sujet laissait penser à une plongée au sein des groupes d’extrême droite française à l’instar de Chez nous ou Un français, le film se veut davantage être un réceptacle des conséquences des idéaux proches du fascisme sur une famille. Et on ne quittera d’ailleurs pas ce noyau familial durant deux heures, comme hypnotisé par la chute progressive d’un fils sous les yeux de son père impuissant.
Un sujet délicat et une thématique terriblement d’actualité qui accouche d’une œuvre d’une force rare et qui ne souffre d’aucune scorie notable. Mieux, Jouer avec le feu va se révéler un long-métrage nécessaire, du genre de ceux qu’on montre dans les écoles en prévention ou qui nourrit les débats télévisés. Un film indispensable et déchirant qui démontre avec justesse, objectivité et efficacité les ravages des doctrines extrémistes sur les jeunes. On verra tout à travers les yeux du père et la démonstration n’en est que plus implacable et effrayante.
Muriel et Delphine Coulin ont eu la bonne idée de confier le rôle principal à un acteur de très grande envergure. Vincent Lindon était en effet le candidat idéal au vu de sa personnalité pour incarner cet homme. Avec son intensité de jeu habituelle, il nous bouleverse dans le rôle de ce paternel qui perd son fils sans parvenir à le rattraper de la bêtise et de la toxicité de ses fréquentations. Le glissement est subtil, adroitement dépeint. Et la progression vers la tragédie n’en est que plus édifiante et tétanisante. En face de Lindon, elles font un joli doublé en confiant le rôle du fils charmé par les ultras à Benjamin Voisin dont le début de carrière s’apparente à un sans-faute incroyable. Il est bouleversant et tellement crédible. Le film joue beaucoup sur les regards, les gestes, les silences et tous deux se montrent redoutablement bons à cet exercice. Ils offrent une confrontation sous tension et chacun s’avère d’une justesse incontestable dans cette partition à deux. Sur un tel sujet, la moindre faute de jeu aurait pu être fatale au film et on n’en compte pas une seule.
Au plus près des visages, favorisant les plans rapprochés pour sonder les âmes et les cœurs, les images des cinéastes sont âpres et nous immergent au sein de cette famille monoparentale brisée par cette direction nocive que prend l’un des deux fils. Chaque séquence fait monter l’inexorable d’un cran avec précision. L’engrenage est palpable et on en vient à prier pour que l’impardonnable ne se produise pas. Le contexte social et sociologique en toile de fond donne des clés de compréhension et jamais le film ne juge ou ne punit ses personnages. Il les rend simplement à leur propre humanité. Certaines tirades nous déchirent le cœur et les larmes ne sont pas loin sur la fin devant ce drame du quotidien qui pourrait devenir celui de tant de familles.
Sans être véritablement un suspense, Jouer avec le feu nous colle pourtant à notre siège. On est certes ému souvent mais aussi révolté parfois malgré les explications psychologiques et sociales offertes au spectateur pour chaque personnage, y compris celui de Fus. Le film ne condamne rien, il expose. À nous, spectateurs, d’en extraire la sève alarmiste et de prendre ce long-métrage engagé sans le vouloir comme un rappel. Un rappel indispensable que les idées fascistes détruisent au-delà des mots et des journaux télévisés, jusque dans les foyers et que cela n’arrive pas qu’aux autres. Malgré son titre, voilà un film glaçant et édifiant ; surtout un choc cinématographique utile et engagé même s’il semble s’en défendre de par ses choix narratifs au cœur de l’intime. Quant à la séquence d’épilogue, loin d’apaiser et de répondre à nos attentes, elle nous laisse dans un état d’incertitude prouvant que lorque la graine est plantée, il semble difficile de la déraciner…
Bande-annonce – Jouer avec le feu
Fiche technique – Jouer avec le feu
Réalisatrices : Muriel et Delphine Coulin.
Scénaristes : Muriel et Delphine Coulin d’après l’oeuvre de Laurent Petitmangin.
Production : Curiosa Films
Distribution: Ad Vitam.
Interprétation : Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon, …
Genre : Drame.
Date de sortie : 22 janvier 2025.
Durée : 1h57.
Pays : France.