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Festival Lumière 2015: Martin Scorsese et Nicolas Winding Refn

Festival Lumière JOUR 2 : Entre boxer ou conduire, il faut choisir

En ce mardi 13 Octobre, Lyon est toujours sous les nuages. A croire que la météo planant sur la Capitale des Gaules semble calculée sur l’arrivée du maestro Scorsese, qui selon pas mal de rumeurs, serait dans le premier train en partance de la Gare de Lyon à Paris. Mais qu’importe. Le Festival se vit avant tout par les films vus et non les personnes les ayant faites, donc autant se concentrer là-dessus. Car alors que la ville se réveille à peine d’une nuit froide et grisâtre, me voilà déjà en train d’esquisser ce qui s’apparentera à la feuille de route de mes pérégrinations de la journée. Il faut dire qu’avec une programmation lorgnant aussi bien du côté du film d’animation (Cars), que du film français représentés pour l’occasion par Gérard Oury, Georges Lautner et Julien Duvivier, en passant par le cinéma international avec Kurosawa, Sydney Pollack (Out of Africa) et évidemment Martin Scorsese, il est difficile de s’y perdre comme il est d’autant plus facile de faire les mauvais choix de séances.

Une rencontre inoubliable

john-lassiter-festival-lumiere-2015-histoire-creation-pixarPeu friand de salle obscure dès le matin, je vais préférer donc m’adonner pendant toute la matinée à une activité paradoxalement assez rebutante : les révisions. Mais pas n’importe lesquelles, puisque mes sujets se nomment Buzz, Woody, Rémy, Flash McQueen ou encore Tristesse. Du Pixar 100% pur jus. Et oui, faute d’avoir pu l’approcher suffisamment lors de la soirée précédente, j’ai préféré braver les interdits et m’introduire discrètement dans la salle qui accueillera le temps d’une rencontre exceptionnelle, le grand manitou de Pixar, le Walt Disney du 21ème siècle, j’ai nommé John Lasseter. Sourire extra-large, démarche joviale, autant dire que revoir le bonhomme entraperçu hier est déjà une source de satisfaction. Mais ça l’est encore plus quand le maestro commence à nous raconter la genèse toute entière de Pixar. Ses débuts difficiles, sa renommée fulgurante (Vice Versa a eu les honneurs d’une présentation cannoise cette année), sa concurrence avec Dreamworks, ses inspirations. Tout y passe et l’homme ne semble jamais rassasié, délivrant constamment anecdotes et secrets de tournages, comme le moment où il racontera l’une des meilleurs semaines de sa vie, passée à Paris (ça ne s’apprend pas) aux cotés de Brad Bird, qui effectuait des repérages pour son déjà culte Ratatouille. Tel un grog bienvenue après un grand froid, inutile de dire que cette discussion à sens unique aura eu le charme de lever le voile sur l’une des plus grandes machines à rêve de l’industrie hollywoodienne, tout en nous informant aussi des prochains films estampillés Pixar, qui s’annoncent merveilleux dixit Lasseter. A peine transi par le froid, après ce rêve éveillé d’un peu plus de 2 heures, que me voilà déjà en train de courir attraper le premier métro. Direction, l’UGC Confluence, très gros multiplexe de la Presqu’ile qui recevra un invité de renom pour la soirée : Nicolas Winding Refn, venu présenter l’un des films les plus connus de sa filmographie : Drive.

I Drive !

Parti en avance, pour décrocher une bonne place, la vue de la salle quasi-comble est pour moi des plus frustrantes. Pour autant, loin de bouder mon plaisir, je m’assois dans un fauteuil, le calepin dégainé, encore non conscient que la présentation qui va suivre sera des plus étonnantes. Car à peine assis, que voilà Nicolas Winding Refn débarquant tout sourire sur la scène, chaleureusement accueilli par une salve d’applaudissement. Le metteur en scène danois, présent à Lyon pour assurer la promotion de son premier livre, recueil d’affiches de films de second genres oubliés des années 1960-1970, décide alors, sans doute sous l’impulsion de la présentatrice, de parler de cette curieuse passion pour les affiches de films, tournant invariablement autour du thème de la nudité féminine. Non sans un éclatant sourire, voilà ainsi que le natif de Copenhague raconte que cette incroyable collection provient d’un service rendu à l’un de ses amis. Ce dernier ayant besoin d’argent, Refn suggérera de lui acheter une collection d’affiches, pour la rondelette somme de 10 000 dollars. Un investissement conséquent, qui fera le bonheur du cinéaste 8 semaines après, quand une tripotée de cartons en tout genre, sont livrés sur le perron de sa porte causant l’incompréhension chez sa femme, pour qui cette lubie sexuelle était des plus mauvais gouts. Mais le cheminement des affiches entre leurs cartons et les pages policées d’un livre demeure flou. Heureusement, Refn a une réponse à tout et révèle que l’idée de coucher sur papier toutes ces affiches, revient à l’acteur canadien fétiche du danois, Ryan Gosling. En voyage au Danemark, l’acteur qui a réalisé Lost River cette année, aurait fouiné dans la maison du metteur en scène, quitte à plonger son nez dans les cartons contenant les fameuses affiches, confortant alors Refn de les compiler dans un livre spécialisé. Un livre au cout de production tel (100 000 dollars) qu’il a poussé le réalisateur à enchainer plusieurs spots publicitaires, et notamment un pour la marque de voiture américaine Lincoln, avec Mathew McConaughey, pour engranger les sommes nécessaires. All right ! All right ! All right !

film-projection-drive-festival-lumiere-2015Mais revenons au principal. Drive donc. Au hasard de cette discussion entamée avec le public, on apprend ainsi que la genèse de Drive provient d’un malaise. Devant rencontrer l’acteur Ryan Gosling au restaurant pour ce qui s’apparentait selon lui à un RDV/lecture d’un scénario, voilà que le réalisateur éprouve des difficultés à correspondre avec son interlocuteur. Vidé par un Harrison Ford avec lequel il a partagé juste avant plusieurs verres et substances, Refn perd les pédales, quitte à ne pas pouvoir rentrer chez lui par ses propres moyens. Alcoolisé et instable, il est finalement ramené par Gosling. Un trajet qui scellera le destin de Drive, puisque le réalisateur, tout transpirant et déphasé, écoute I Can’t Fight This Feeling Anymore, une de ses musiques préférées, sur laquelle il n’hésitera pas selon lui à chanter et pleurer. Un état de transe tel que l’idée d’un récit narrant le quotidien d’un chauffeur qui conduit de nuit à Los Angeles et qui écoute de la musique pop comme soupape émotionnelle s’impose à son esprit et jaillit de sa bouche. Ryan Gosling, peu bavard, répondra sobrement : « I’m in » (J’en suis) lançant la mécanique d’un film qui sera présenté à Cannes en 2011 où il se verra d’ailleurs décerner l’une des récompenses majeures, le Prix de la Mise en Scène. Un film dont la projection débute aussitôt et qui s’impose assez logiquement sur le public, qui pour moitié ne l’a pas vu. A l’arrivée, une belle claque aussi bien esthétique que violente qui me conforte dans le choix du premier film de la journée.

Car oui, à peine le générique de fin entamé, que me voilà déjà dans le métro. Direction le Pathé Bellecour ou un deuxième film m’attend et non des moindres : Raging Bull de Martin Scorsese.

You fuck my wife ?

Paradoxalement présenté par le réalisateur Eric Lartigeau, auquel on doit le très consensuel La Famille Bélier et qui rage de voir une salle entière (ou presque) n’ayant pas vu ledit film, Raging Bull est l’un des jalons majeurs dans la non moins remplie filmo de Martin Scorsese. Réalisé alors que Marty était au bord du gouffre, entre forte addiction à la cocaïne et grave crise d’asthme, le film est décrit par Lartigeau, comme étant l’un des plus beaux manifestes du style scorsésien, puisque touchant là encore à la sacro-sainte forme ascension-chute-rédemption. Pour autant, Lartigeau y appose une autre anecdote, diablement plus intéressante, à savoir que Scorsese a fait ce film de manière kamikaze. Et à peine les premières images arrivent que cette impression de fin transpire de l’écran. Tourné en noir et blanc, le récit du boxer italo-américain Jake LaMotta est en effet le tremplin ultime vers la mort pour Scorsese. Travail titanesque sur le montage, les couleurs mais surtout les scènes de combat, qui nécessiteront presque un mois de tournage, le tournage est difficile. Teinté d’un langage grossier et d’une improvisation constante de la part de ses acteurs, Scorsese semble avec film, presque délivrer son testament, le ton monochrome se prêtant d’ailleurs très bien à cet exercice funèbre. Mais à l’arrivée, un seul constat : 35 ans après, Raging Bull resplendit de mille feux et impressionne par sa virtuosité, voyant plan iconique et répliques cultes s’enchainer à la vitesse d’un jab et nous frapper avec la force d’un uppercut. Mordant, détonnant, original, et terriblement attirant, cette fresque quasi contemporaine de la jeunesse de Scorsese vaut assurément le détour et ne fait que confirmer le sans-faute entrepris par l’Institut Lumière, qui a décidément muri le choix de sa sélection.

Rédacteur LeMagduCiné