Vivre sa vie est le quatrième long-métrage de Jean-Luc Godard, après À bout de souffle, Le Petit soldat et Une femme est une femme. Vivre sa vie est plus sombre, plus mélancolique, et dévoile la palette de jeu émouvante de la muse du cinéaste, Anna Karina.
Synopsis : Nana fréquente depuis quelques années Paul, un journaliste raté. Nana s’ennuie et voudrait changer de vie, même si elle éprouve encore de la tendresse pour Paul. Elle aimerait surtout résoudre ses problèmes d’argent. Un soir, elle accepte de suivre à l’hôtel un inconnu rencontré sur les Champs-Élysées et se livre à la prostitution…
Vivre sa vie : et comment ?
Quelques séquences mettent le spectateur à la place des personnages, par des plans de dos sur les acteurs. Leur visage est caché, voire effacé : ils peuvent alors incarner n’importe qui. D’ailleurs, le film commence sur ces plans de dos : de ce fait, chacun peut se mettre à la place des personnages. Le film est universel, axé sur la jeunesse où toutes les questions existentielles bousculent les esprits mesurés. Chacun peut comprendre la position instable de Nana, qui rêve d’être actrice avant d’être confrontée à un destin inattendu.
Malgré quelques mouvements de caméra singuliers, comme les balancements continuels de la caméra entre les personnages, le film est filmé simplement, avec une continuité narrative plus traditionnelle qu’à l’accoutumée chez le cinéaste. Il cherche la simplicité, par des plans fixes et de nombreux travellings qui nous maintiennent en contact permanent avec Nana.
La mélancolie d’un visage
Anna Karina est bouleversante dans le rôle de cette jeune femme, perdue dans les méandres de son existence. Godard filme davantage le visage d’Anna Karina que celui de Nana ; la caméra l’observe tendrement au travers de nombreux gros plans. Nana arbore un visage neutre mais d’une extrême mélancolie, comme si elle appelait constamment le regard du cinéaste et des spectateurs. Ce lien est d’autant plus évident lorsque l’on connaît l’affinité partagée entre l’actrice et le cinéaste…
Une double mise en abîme se crée alors, fusionnant le personnage avec son actrice. De même, une séquence montre Nana au cinéma, devant La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer. La séquence de Dreyer est filmée de la même manière que le visage de Nana. Jeanne d’Arc, interprétée par Renée Falconetti, semble aussi émue et mélancolique qu’elle… Même si l’émotion de Nana est plus intérieure et moins démonstrative, les deux personnages nous bouleversent tout autant, et pour des raisons bien différentes.
La philosophie dans le quotidien
Le film se découpe en douze chapitres (ce que l’on retrouve des décennies plus tard dans Julie en douze chapitres de Joachim Trier). Chaque chapitre semble faire avancer l’histoire, mais Nana stagne. Pourtant, elle s’éveille intellectuellement, se livrant à des réflexions sur le monde qui l’entoure. Dans le chapitre 6, elle s’exprime sur la responsabilité : « Moi je crois qu’on est toujours responsable de ce que l’on fait, et libre […]. J’oublie que je suis responsable, mais je le suis » affirme-t-elle avec innocence.
Puis, dans le chapitre 11, elle rencontre un vieil homme qui lui parle de philosophie avec un regard plus expérimenté. D’ailleurs, il cite Platon pour appuyer ses propos. Jean-Luc Godard amène ainsi le spectateur à réfléchir pour ensuite s’élever du quotidien. À ce titre, le vieil homme explique l’importance de la pensée : « On est dans la vie quotidienne et puis on s’en élève vers une vie supérieure, parce que c’est la vie avec la pensée » déclare-t-il. Aussi, tout le monde peut philosopher grâce aux mots, car ils permettent de penser.
Les mots et le silence
En effet, comme dans la plupart de ses films, Godard s’intéresse aux mots. Il les façonne, les manipule, jusqu’à arriver à les transformer en poésie ou à les retranscrire par la littérature. C’est pour cette raison que de nombreux ouvrages sont présents dans ses films (ici, nous retrouvons dans le dernier chapitre les Œuvres complètes d’Edgar Allan Poe). Parfois, les mots se confondent avec le silence : ce phénomène se rencontre particulièrement lorsqu’on lit un livre.
Pour autant, la parole et le silence ne peuvent vivre l’un sans l’autre, comme l’affirme l’homme du chapitre 11. « Quand on parle, c’est une autre vie que quand on ne parle pas » dit-il simplement, avant d’ajouter : « On va du silence à la parole … parce que c’est le mouvement de la vie ». En définitive, Jean-Luc Godard nous aide à mieux comprendre l’existence pour mieux s’en détacher. Pour apprécier Vivre sa vie, il faut ressentir les mots, la musique et les images, à chaque instant redéfinis par l’imprévisible cinéaste.
Vivre sa vie : Bande annonce
Vivre sa vie : Fiche technique
Titre : Vivre sa vie : film en douze tableaux
Réalisation : Jean-Luc Godard
Assistants réalisateur : Bernard Toublanc-Michel et Jean-Paul Savignac
Scénario : Jean-Luc Godard et Marcel Sacotte
Producteur : Pierre Braunberger
Directeur de production : Roger Fleytoux
Musique : Michel Legrand et Jean Ferrat
Photographie : Raoul Coutard
Montage : Jean-Luc Godard et Agnès Guillemot
Son : Guy Villette
Société de distribution : Les Films de la Pléiade
Pays d’origine : France
Format : Noir et blanc – 1,33:1 – Mono – 35 mm
Durée : 80 minutes
Date de sortie : 20 septembre 1962