La Féline de Jacques Tourneur : L’image trouble de la femme prédatrice
S’il est de films mystérieux dont la compréhension totale nécessite plusieurs pistes de réflexions pour en saisir la pleine mesure et dont on n’est toujours pas certain d’en appréhender toutes les facettes, même après un second visionnage, alors ce classique du cinéma fantastique mérite largement sa place dans cette catégorie. C’est tout l’attrait qui s’en dégage, sa force principale mais paradoxalement aussi son aspect le plus, sinon répulsif, du moins distancié. Il n’est pas forcément aisé de bien distinguer vers quoi tend cette appropriation de la femme prédatrice.
Si l’on peut plus ou moins y comprendre une « psychanalyse » de la féminité dévorée par ses peurs et ses doutes, recluse dans un monde qu’elle s’érige comme protection envers une réalité agressive et effrayante, il est peu probable que ce soit son seul intérêt. Peut on aussi y lire une critique ténue mais bien présente d’une Amérique trop sûre de sa force et incapable de combattre ses propres démons intérieurs? Idée assez farfelue au premier abord, tant ce ne semble pas du tout être le sujet abordé ici, mais que l’on pense furtivement percevoir au détour de l’arrogance de cet homme pour qui les légendes serbes ne sont que traumas d’enfance refoulés et pour qui son pays est un rempart infaillible contre le danger extérieur.
Cette idée que la démence ne peut provenir que de marginaux n’ayant pas trouvé leur place au sein d’une société « normative » (la pécheresse aux troubles origines balkaniques est le démon incarné qui menace la prospérité du nouveau couple bourgeois et de ce médecin inquiétant et antipathique) revient assez régulièrement pour ne pas l’écarter définitivement. On peut encore y déceler une critique de la psychiatrie, alors encore balbutiante à cette époque, trop suffisante de ne pas comprendre le malaise et la solitude, choses impensables pour une société qui se construit sur des mirages.
Ce maelstrom de possibilités peut s’élargir à l’infini et c’est surement l’intention de Jacques Tourneur, que de nous perdre dans ce jeux de pistes pervers. Lui seul détient la vérité et son intention est possiblement tout autre, auquel cas la clef du long-métrage serait à revoir complètement. La limite de ce genre d’exercice est que sa courte durée veuille embraser trop de matière première, au risque de déclencher un sentiment troublant de désintérêt pour l’intrigue. Car au niveau purement cinématographique, c’est véritablement un exploit d’avoir réussi un tel rendu atmosphérique avec si peu de moyens.
Entre ombres et lumières, appuyées par des effets spéciaux fins, mais particulièrement bien rendus, sourde une angoisse de plus en plus présente à l’écran au fur et à mesure. Le noir et blanc accentue encore davantage cet effet de malaise persistant et si le doute est longtemps permis, le dénouement permet de valider certaines thèses précitées. Les animaux, thème récurant du genre, par leur apparition rappellent étrangement Les Oiseaux d’Hitchcock. Leurs réactions instinctives sont les prémices d’une horreur annoncée et les quelques immenses bâtisses vides font figure de maisons hantées, renforçant ainsi la peur ressentie dans certaines séquences de courses poursuites. Ces qualités essentielles sont évidemment un tour de force qui élève La Féline au rang d’œuvres marquantes dans l’histoire du cinéma, nonobstant cette incertitude qui plane sur son réel sens.
Synopsis : Irena Dubrovna, une styliste serbe, est persuadée d’être la descendante d’un clan de personnes pouvant prendre l’apparence d’une panthère. Malgré ses dires, l’ingénieur naval, Oliver Reed l’épouse mais Irena refuse de consommer le mariage de peur que ses fortes émotions influent sur la malédiction. Oliver s’éloigne de plus en plus d’elle et Irena devient alors de plus en plus dangereuse.
Auteur de la critique : Le Cinéphile Dijonnais
Fiche Technique : La Féline de Jacques Tourneur