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Règle 34 : le souffle coupé

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Le besoin de provoquer, de fasciner et de se faire mal, voilà où mène inévitablement la Règle 34, qui suggère que la pornographie est à la fois une étude sociale et politique. Júlia Murat vient alors jouer avec ses limites, où le désir de violence entre en résonance avec les pulsions d’une femme prête à perdre le contrôle.

Synopsis : La légendaire règle 34 d’internet stipule que si quelque chose existe, alors il y en a une version porno. Simone est étudiante en droit le jour, engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et camgirl la nuit, explorant ses fantasmes masochistes.

Le premier long-métrage de la cinéaste brésilienne, Historias, les Histoires n’existent que lorsque l’on s’en souvient, a permis de cerner cette quête du vide, qui ne demandait qu’à être rempli, dans un village abandonné où rien ne se passe. Ce n’est qu’avec son film suivant, Pendular, que l’on voit apparaître les stigmates d’une femme déterminée à trouver l’équilibre entre ses sentiments et son art. La danse, la sculpture ou encore la pornographie, tout est une question de forme avant toute chose. Júlia Murat nous invite ainsi à entrer dans le monde surréaliste qu’est le nôtre, quelque part entre l’écran, l’animateur et le spectateur.

Le jour et la nuit

Que peut-on bien faire de sa vie et de son corps ? Simone (Sol Miranda) théorise et débat sur un système qui entretient le patriarcat, en rappelant le haut taux de féminicide sur le territoire brésilien. Cela équivaut à sensibiliser sur la nature profonde du personnage à la peau noire et dont le combat et la conscience se jouent face à une webcam. Ce qu’elle fait de son corps, elle le choisit. Ce protagoniste partage donc énormément avec la Belle de Jour, campée par Catherine Deneuve pour Luis Buñuel. Leur exploration du désir est profonde, bien que l’on diverge rapidement avec un accès de violence volontaire. La mutilation fait alors partie d’un programme bien plus vaste qu’une invitation ouverte au masochisme.

L’étudiante en droit pénal investit au mieux cet axe, à travers les violences domestiques qu’elle est censée résoudre. Elle doit y parvenir à la force d’une structure solide dans son raisonnement et souvent en se projetant à la place de ses victimes. Par conséquent, cette dernière recueille les témoignages de femmes qui ont peur, soit de résister, soit de se confesser. C’est pourquoi elle devient une tout autre personne la nuit tombée. C’est pourquoi elle incarne cette souffrance qu’elle désire dompter, malgré ses dangers potentiels et une nécessité de passer outre la bienséance.

A History of Violence

L’envers du décor est posé. Simone n’use pas de son charme mais bien de son corps pour séduire la gent masculine et anonyme. La cam girl fait face à des hommes qui se délectent de leurs demandes, de plus en plus audacieuses quitte à ce que la souffrance devienne le catalyseur de leur pulsion. Des jetons virtuels remplacent alors les billets imbibés d’alcool et de sueurs que l’on pourrait disperser dans un strip club. De cette manière, le degré de manipulation est quantifiable, car il s’agit bien là d’interroger la conscience collective. Un conditionnement accru aux images pornographiques sépare par extension la passion et le désir, deux atouts essentiels dans ce boulot qui a également ses propres lois et ses propres limites.

Dans une seconde partie, le cœur de Simone balance entre son camarade de classe Coyote (Lucas Andrade) et sa partenaire de self-défense Lucia (Lorena Comparato). Sa bisexualité souligne son tempérament, indéniablement porté sur les infractions en tous genres. Cela la fascine, cela la démange et elle apprécie grandement cette nouvelle sensation, qui tutoie pour sa part un certain sens de la liberté. Cependant, ses temps-morts au crochet de ses amants se raréfient avec le temps, car Simone admet un penchant pour le BDSM, pratique initialement très encadrée. Malheureusement, celle-ci ne saura suivre scrupuleusement les conseils de sa bonne amie Natalia (Isabela Mariotto), avec qui elle entretient une correspondance saine, tout le contraire de ce qu’elle s’inflige physiquement.

À travers sa douleur, Júlia Murat établit le portrait de jeunes adultes soumis à leur sexualité. La gestion des émotions, des sentiments et donc de la douleur devient primordiale pour l’héroïne, qui franchit une limite après l’autre, sans que cela ne la tourmente davantage. Pourtant, le frisson existe bel et bien pour le spectateur, qui assiste, impuissant dans son fauteuil, aux violences que Simone emmagasine pour toutes les autres. Ainsi, Règle 34 nous somme de garder notre souffle jusqu’au bout, jusqu’au moment où l’on cherche à atteindre l’auto-asphyxie souhaitée.

Bande-annonce : Règle 34

Fiche technique : Règle 34

Titre original : Regra 34
Réalisation : Júlia Murat
Scénario : Júlia Murat, Gabriela Capello, Rafael Lessa, Roberto Winter
Photographie : Léo Bittencourt
Décors : Lê Campos
Costumes : Diana Leste
Son : Laura Zimmermann
Montage : Beatriz Pomar, Julia Murat, Mair Tavares
Musique : Lucas Marcier, Maria Beraldo
Production : Julia Murat, Tatiana Leite
Pays de production : Brésil
Distribution France : Wayna Pitch
Durée : 1h40
Genre : Drame
Date de sortie : 7 juin 2023

Règle 34 : le souffle coupé
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