Critique Le Temps des aveux
Synopsis : en 1971 au Cambodge, François Bizot, un ethnologue Français est capturé, ainsi que deux de ses assistants, par les Khmers rouges. Retenu dans un camp de rebelles au milieu de la jungle, on l’accuse d’être un espion de la CIA. Douch, le chef du groupe de rebelles, est le seul à pouvoir juger de son innocence. Entre rapport de force et divergence de point de vue, ces deux hommes vont créer un lien indéfinissable.
Sous le titre original « Le Portail » du roman autobiographique de l’ethnologue français François Bizot, Le Temps des aveux est une réalisation de Régis Wargnier, connu surtout pour Indochine (1992) et Est–Ouest (1999). De manière franche et juste, le réalisateur s’inspire de l’histoire de la capture de François Bizot par des Khmers rouges pour dresser la réalité de l’invasion des rebelles au Cambodge à partir de 1971. Imprégnant le spectateur dans un climat de terreur et de paranoïa, où tout le monde est traître, le film parvient à redonner une âme humaine à ces figures de militants inhumains. Sans pour autant livré une vision fière de la non-action de la France dans le conflit, le récit tend essentiellement à nous montrer le revers du colonialisme français, à la culpabilité voilée, encore tabou pour l’époque.
La figure du héros innocent, rempli de remords : à la fois franc mais sur-dramatisé
Raphael Personnaz interprète cette figure de l’innocence et de la culpabilité en un être. Avec un jeu très ambigu, il s’impose par son physique de bel homme et sa présence affirmée, mais parfois perd en intensité dans sa diction.
Avec des dialogues aux textes forts et même poétiques, chaque mot a son importance et est doté d’un double sens à portée politique. Mais le poids des mots ne peut rien contre le manque de conviction produit par l’acteur principal. Par moment, on ressent qu’il en rajoute, donne un second poids aux mots, inutilement. En les récitant, telle une poésie apprise par cœur, les mots sonnent vides d’émotion et disparaissent de l’oreille du spectateur.
C’est pourtant la force de caractère de son personnage, qu’il incarne parfaitement, qui vont lui permettre d’être libéré. Il serait plus un acteur d’action, que de paroles, pourtant dans ce film le discours est central. Ce qui amoindrit par-dessus tout son jeu, ce sont ces scènes où son maquillage vieillissant est raté : des cheveux grisonnés et des pastiches risibles détournent le regard du spectateur et casse cette recherche d’authenticité.
L’innocence de Bizot est d’emblée affirmée. Il n’y a aucun doute sur la possibilité qu’il soit réellement un espion. On le voit clairement grâce à sa tenue; portant au début une chemise blanche immaculée, qui disparaît. Puis il échange son revêtement gris et pouilleux de prisonnier pour avoir l’uniforme noir des Khmers rouges. Prophétisé comme des corbeaux, les Khmers ne sont pourtant pas catégorisés comme de réels antagonistes de l’histoire. Il y a bien deux versions de l’Histoire.
Une vérité ambiguë : le témoignage de deux camps
Tout le récit est construit comme une véritable quête de la vérité. Introduit par le témoignage de François Bizot, à travers un récit sous forme de flash back, d’une révélation faite à sa fille, expliquant comment il s’est fait capturé, et est parvenu à être sauvé par un des Khmers, Douch. Le film reprend alors cette volonté démonstrative de L’Ordre et la Morale de Matthieu Kassovitz, n’adoptant jamais un point de vue comme étant le meilleur. Tout comme le film de Kassovitz, sur l’indépendance des Kanaks en Nouvelle Calédonie, Le temps des Aveux retrace la cohabitation entre les révolutionnaires et les habitants français, deux ennemis à l’idéologie commune : la liberté. Mais l’ennemi n’est pas déterminé intrinsèquement, il ne dépend que du côté de la frontière où l’on se trouve. Cette image du « Portail » enchainé, qui délivre François après sa capture, est alors très symbolique. Seule cette porte métallique l’empêche de rejoindre sa femme, et même plus tard la frontière restera la limite invisible et inéluctable qui les séparera.
Le film met aussi en lumière une part de légitimité dans le combat des Khmers rouges. On est témoin de leur évolution sur le territoire, par un saut de 4 ans dans le temps du récit. Alors le film devient sombre et grisâtre, comme ses croquis dessinés dans le film, dont les couleurs s’obscurcissent avec le temps. Au nom de l’ordre, ou de leurs croyances, ces soldats « appliquent la procédure ». L’histoire ne se détourne pas de la réalité, et nous dépeint frontalement la séquestration, la torture et l’exécution de ces paysans accusés de haute trahison. La frontière cette fois ci est entre l’ordre, la morale, et la force de leur conviction qui les poussera à commettre des actes inhumains.
Dans un décor naturel fait de boue, de ruines et de bambous, s’orchestrent les massacres des prisonniers. Cet éden devient la frontière de la civilisation, où les crimes contre nature prennent vie.
Le temps des vrais aveux de Douch
Douch (interprété par Phoeung Kompheak) reste le personnage central, avec sa vision qui évolue, tout comme son comportement face à Bizot. Du bourreau au héros, le cadre le montre toujours dans toute sa personne, comme étant divisée. De l’ombre à la lumière, ce personnage change de rôles, et est partagé littéralement entre deux camps. A la fois l’homme en charge de cette révolution, figure de dictateur Khmer, et la figure paternelle qui croit au fond de lui en l’innocence de ce citoyen français. Le bandage blanc de Bizot est en réalité porté par Douch. Comme s’il était tant aveuglé par sa volonté de liberté, qu’il ne discernait plus le juste de la vengeance.
Le titre « Le temps des aveux » ne fait pas référence aux aveux de ce français pris pour un espion, mais à la confession de Douch face à ces crimes de guerre. Quel serait l’intérêt premier du film s’il était centré sur les aveux de ce français innocent ? Le récit en flash-back nous avertit dès le début qu’il a été libéré et jugé innocent. La véritable interrogation du film se manifeste plutôt à travers cette interrogation : « pourquoi lui ? » ou « pourquoi Douch l’a libéré? », quand à coté, tant d’autres innocents ont été exécutés sous ses ordres. Le véritable jugement final se déroule entre Douch et Bizot, dans un affrontement qui renverse les rapports de force, avec une caméra qui désormais surplombe Douch. L’homme jugé et démuni dans son costume de Khmer rouge n’est plus cette figure de corbeau dévastateur. L’ennemi n’est plus l’autre, celui du camp opposé, mais lui-même ou plutôt celui qu’il a été dans le passé. Après le temps des aveux vient le temps des représailles.
Un angle de réflexion poignant
Le temps des aveux fait acte de mémoire pour ces innocents exécutés lors de la prise des khmers rouges. Il montre les deux côtés de cette prise du Cambodge, sans avoir la volonté d’idéaliser le point de vue des Français.
Au contraire, on ressent cette culpabilité voilée de l’administration assez incompétente (incarnée par Olivier Gourmet). Dénotant, un sujet très peu exploité de ce point de vue, le film incite le spectateur à s’interroger sur le comble de l’homme à agir pour ses convictions, et à supporter la culpabilité de ses actes face au jugement lorsque les camps redeviennent indéfinissables.
Le Temps des Aveux – Bande annonce
Fiche Technique – Le Temps des aveux
Réalisateur : Régis Wargnier
Scénaristes : Antoine Andouard, Régis Wargnier, François Bizot
Autre Titre : Le Portail
Genre : Drame Historique
Durée :1h35min
Date de sortie : 17 décembre 2014
Nationalité : France, Cambodge, Belgique
Interprétation : Raphael Personnaz (Bizot), Phoeung Kompheak (Douch), Olivier Gourmet (Marsac), Boren Chhith (Lay), Rathana Soth (Phuong)
Directeur de photographie : Renaud Chassaing
Producteur : Jean Cottin, Rithy Panh,..
Production : Les Films du Cap, Gaumont, Scope Pictures, …
Distribution : Gaumont