S’il faut parfois mentir à soi-même pour rêver un peu, c’est bien toute la tragédie de Lydia, incapable de dissocier ses désirs de la réalité. Dans une effroyable escalade de mensonges, Iris Kaltenbäck nous immerge alors dans l’immense solitude de son personnage, qui tente d’atteindre le pinacle de son déni à tout prix, Le Ravissement. Un titre aussi ambivalent que son héroïne !
Synopsis : Comment la vie de Lydia, sage-femme très investie dans son travail, a-t-elle déraillé ? Est-ce sa rupture amoureuse, la grossesse de sa meilleure amie Salomé, ou la rencontre de Milos, un possible nouvel amour ? Lydia s’enferme dans une spirale de mensonges et leur vie à tous bascule…
La maternité occupe une place importante dans l’esprit d’Iris Kaltenbäck, dont le court-métrage Le Vol des Cigognes a été financé par La Fémis. Il y est question d’une femme qui enlève un jeune nourrisson pour le présenter comme le sien à son compagnon militaire, fraîchement rentré de sa mission. En exploitant un fait divers similaire, la réalisatrice explore les conséquences d’une telle impasse. À la force d’un titre magnifiquement subtil, qui connote aussi bien le bonheur extatique qu’un enlèvement de force, Kaltenbäck touche au malaise, lorsque l’on tente de travestir une réalité qui nous dépassera tôt ou tard. L’héroïne en mal d’affection, Lydia, oscille constamment entre ces deux pôles et finit par jouer dans la même cour que Signe dans Sick Of Myself, une femme aussi narcissique que toxique pour son entourage.
Portrait d’une jeune fille en déni
Ces comportements viennent d’un traumatisme que la cinéaste préfère ne pas clarifier, et son approche n’est pas non plus sociologique. Il s’agit de décortiquer les temps forts d’une relation de couple et d’amitié, car Lydia craint plus que tout la solitude et le sentiment de ne pas être désirable. Sage-femme le jour, elle vadrouille la nuit pour tromper l’ennui et oublier que son petit ami l’a plaqué. Au terminus d’un bus dans lequel elle s’est endormie, elle fait la connaissance de Milos (Alexis Manenti), chauffeur insomniaque sur qui Lydia fantasme un début d’histoire d’amour. Elle entretient ainsi une illusion par le biais d’un quiproquo, lorsqu’elle substitue l’enfant de sa seule amie Salomé (Nina Meurisse), encore épuisée par son accouchement difficile. En croisant Milos sur son lieu de travail, elle présente l’enfant dans ses bras comme le fruit de leur union passager. Lydia brouille ainsi la frontière entre le jeu de séduction et celui de la manipulation, car elle devient la première victime de son jeu vicieux.
Il ne fait aucun doute que Hafsia Herzi emporte tout dans cette œuvre. La réalisatrice, autrice et comédienne de Tu mérites un amour ne pouvait pas trouver meilleure destination que ce portrait d’une jeune fille en déni. Préoccupée par sa propre image, Lydia se perd dans le regard des autres. Elle se retrouve alors impuissante face à ses propres décisions, bien qu’elle parvienne à arracher quelques instants de répit. Malheureusement, elle ne peut profiter de son oasis assez longtemps, car elle ne peut baby-sitter ou materner l’enfant indéfiniment. Plus on avance dans le récit, plus les mensonges de Lydia s’amplifient et plus sa trajectoire est imprévisible.
Une fille à aimer
Dans cette démarche que nul ne cautionne, Kaltenbäck met un point d’honneur à développer la souffrance et la fatigue de son héroïne. D’abord en la filmant spontanément dans un Paris rempli de banlieusards, qui se déplacent régulièrement entre leur domicile et leur lieu de travail, souvent via les transports en commun. Puis, c’est dans les salles d’accouchement d’un hôpital public qu’une approche documentaire s’impose. Entre fascination et admiration pour les sages-femmes, la cinéaste interroge également Lydia et Salomé sur leur maternité, aboutie ou non. Un test de grossesse positif dans un couple change bien des choses au sein de la famille qui s’agrandit, mais a indirectement un impact sur leur entourage, finalement moins présent et accessible qu’autrefois. Un équilibre est rompu entre ces amies, fusionnelles à tel point que le bébé pourrait bien être le fruit symbolique de leur complicité, de leur complémentarité et de leur amitié.
Cette tendresse se cache bien derrière chaque saut à la crèche ou chez le couple lorsque Lydia emprunte l’enfant pour s’épanouir en tant que mère. Quand bien même ce n’est pas le fruit de ses entrailles, elle est pourtant la première personne à entrer en contact avec les nouveaux nés, avant de les rendre à leur mère respective. Est-ce ni plus ni moins de la jalousie de sa part ? Était-elle consciente de son mensonge et de ses manipulations, ou bien est-ce le résultat d’un moment d’égarement qu’elle n’assume pas ? La voix off qui traverse l’intrigue tourne autour de ces questions sans jamais y répondre. Elle vient davantage troubler notre verdict au moment de rendre des comptes. C’est ce qui donne toute la subtilité à cette œuvre, brillante et captivante, malgré un épilogue discutable.
Présenté à la Semaine de la Critique, Le Ravissement entretient un goût du risque que son héroïne cultive, entre le fantasme de la maternité et l’ivresse d’une vie à deux, puis à trois et à jamais… Alejandro González Iñárritu, David Robert Mitchell et Julia Ducournau figurent parmi les dernières révélations de cette section parallèle du Festival de Cannes. Iris Kaltenbäck semble marcher dans leurs pas et il convient donc de suivre une cinéaste aussi prometteuse. Son prochain long-métrage est attendu avec impatience.
Bande-annonce : Le Ravissement
Fiche technique : Le Ravissement
Scénario et réalisation : Iris Kaltenbäck
Image : Marine Atlan
Montage : Suzana Pedro, Pierre Deschamps
Décors : Anna Le Mouël
Musique originale : Alexandre de la Baume
Casting : Youna de Peretti
Scripte : Iris Chassaigne
Ingénieur son et monteur son : Guilhem Domercq
Costumes : Caroline Spieth
Maquillage : Marie Goetgoeluck
1er assistant mise en scène : Vincent Prades, Joanne Delachair
Direction de production : Salomé Fleischmann
Régie générale : Emma Lebot
Production : Mact Productions, Marianne Productions
Pays de production : France
Distribution France : Diaphana Distribution
Durée : 1h37
Genre : Drame
Date de sortie : 11 octobre 2023