Killers : Le renouveau du film de tueurs en série ?
Synopsis: Bayu est un journaliste qui enquête sur la corruption de la classe politique indonésienne. Son obsession l’enferme dans une spirale négative : rétrogradé au simple rang de cameraman, il voit aussi son couple partir en lambeaux. En fouillant dans les recoins obscurs d’internet, il tombe sur la vidéo d’un tueur psychopathe japonais qui filme l’agonie de ses victimes.
Il suffira d’une étincelle pour que les trajectoires de ces deux hommes si différents se rejoignent.
L’histoire de Killers commence un an auparavant avec la diffusion de V/H/S/ 2 lors de l’Etrange Festival. Parmi les sketchs qui le composait, un en particulier a retenu l’attention de tout le monde : Safe Haven. Plongée apocalyptique au cœur d’une secte satanique, il combinait les talents de deux réalisateurs : Gareth Evans, que nous connaissons pour la série des The Raid, et Timo Tjahjanto du duo de réalisateurs : les Mo Brothers (dont fait aussi partie Kimo Stamboel, qui semble plus impliqué dans l’aspect logistique des films). Si nous avons eu la chance de voir les films de l’expatrié anglais, nous n’avions pas pu voir Macabre en France, de sorte que la question se posait : qui a eu la plus grosse influence sur la réalisation de ce formidable moment de cinéma fantastique ?
La bande annonce de ce Killers devait nous apporter quelques réponses, et faire naître une envie bien compréhensible : portée par une musique hypnotique, elle promettait un film aussi violent que dérangeant, appliquant l’esthétique brute d’un The Raid au genre du film de tueur en série. Une parenté qui s’annonçait d’autant plus claire, que la grande majorité des acteurs était déjà apparue dans les films de Gareth Evans.
C’est donc avec une très grande envie que l’on est allé découvrir le film à l’Etrange Festival de cette année, et ce d’autant plus que les premiers retours parlaient d’un film profondément dérangeant. On va voir que si Killers a des qualités, il est loin d’être à la hauteur de cette attente.
Les deux visages de la mort
Killers raconte deux histoires, évoluant en parallèle, et qui, on l’imagine bien, vont se rejoindre arrivées à un certain point.
D’un côté on a Bayou : idéaliste, il perd peu à peu pied suite à ses problèmes professionnels. Pourquoi le fait de révéler la vérité devrait-il le mettre en échec ? La volonté de se venger monte en lui, et il suffit, comme dans Colt 45, d’une agression pour qu’elle se déploie dans des meurtres de plus en plus audacieux, et de plus en plus politiques. En filmant l’agonie de ses victimes, il reprend aussi bien le dispositif du tueur japonais, qu’il exerce son métier de journaliste, enregistrant l’actualité en train de se faire, de la manière la plus radicale qui soit.
De l’autre côté on a Nomura : sous ses apparences d’homme d’affaire sans histoire, il s’agit d’un tueur psychopathe avec toute la panoplie qui va avec : cibles féminines, salle de torture secrète dans sa maison, et histoire familiale troublée. Son intrigue tournera beaucoup autour de son histoire d’amitié avec une jeune fleuriste, tentant d’élever son jeune frère autiste, malgré les difficultés financières.
Tout l’intérêt du film est de voir la progression de ces deux personnages : l’un qui se déshumanise et devient de plus en plus violent envers ses proches dans une fuite en avant possiblement fatale, l’autre qui s’humanise au contact d’une femme qu’il pourrait ne pas envisager comme une victime, et qui va l’emmener dans un processus de remise en question de sa toute puissance. Cette progression n’est heureusement pas linéaire : Bayu se voit devenir un monstre, et cherche à se rattacher à ce qui était bon en lui, tandis que Nomura accepte mal d’être remis en cause, et rendra coup pour coup face aux humiliations qu’il pourrait subir.
Une histoire de violence
Killers est un film très référencé d’un point de vue cinématographique : il est le croisement entre deux traditions du thriller opposées : d’un côté le modèle de l’histoire de Bayu est à chercher en Corée, avec deux films en point de repère : Sympathy for Mister Vengeance de Park Chan-Wook, et The Murderer de Na Hong-Jin. Comme dans le premier film, on assiste à la descente en enfer d’un homme qui va commettre des actes inacceptables par idéal politique et va en payer le prix fort. Comme dans le second film, cela va l’amener à des séquences d’action enlevées où sa maladresse sera compensée par son énergie pour échapper aux poursuivants, qui se feront de plus en plus nombreux avec le temps.
De l’autre côté, l’histoire de Nomura évoque des figures très classiques du thriller allant de Psychose à Millénium, avec tous les clichés qui collent à la peau des serial killers de cinéma.
Cette rencontre est censée apporter un regard neuf sur chacune de ces deux approches, mais cela ne fonctionne pas réellement pour plusieurs raisons.
Tout d’abord; parce que les deux intrigues se croisent trop tardivement, et de manière trop artificielle, ce qui non seulement donne parfois l’impression de regarder ce que les amateurs de nanar connaissent sous le nom de deux en un, mais en plus, laisse penser que chaque histoire aurait été plus intéressante traitée seule dans son propre film.
Ensuite parce que le film est trop timide. Sympathy for Mister Vengeance était un film qui impliquait entièrement le spectateur, et n’hésitait pas à lui faire vivre des scènes émotionnellement insoutenables : Killers garde les scènes les plus dures hors champ et n’arrive pas à créer de véritable lien émotionnel avec le personnage principal. De plus la croisade menée par Bayu manque d’ambiguïté : alors qu’il aurait été intéressant de mettre en doute le regard du personnage principal, chacune de ses actions montre que s’il n’est pas quelqu’un de bon, les autres sont pires encore, justifiant pleinement ses actes. De même dans sa partie horreur, le film est trop timide en violence graphique et psychologique pour créer le malaise du spectateur.
De sorte qu’il échoue sur deux plans :
- pour le spectateur qui s’intéresse à l’histoire, le film n’est pas assez incarné, en proposant une intrigue qui repose trop sur des clichés de cinéma et pas assez sur des personnages
- pour le cinéphile qui aura l’impression d’avoir vu tout cela en mieux ailleurs.
Un sentiment de gâchis
Si Killers a été accueilli très favorablement dans les festivals où il a été projeté, il n’est pas si étonnant de le voir sortir directement en DVD en France. Si on a évidemment vu bien pire en salles cette année, il paie son manque de vedettes pour un public français, et son absence d’originalité. En récitant ses leçons de cinéma extrême d’une manière très appliquée mais prévisible, il peine à intéresser le spectateur durant ses deux heures dix-sept. On en ressort avec une impression de gâchis : il y a en effet un vrai potentiel visuel chez les Mo Brothers, un vrai sens de l’action et de l’utilisation de la musique. On aimerait simplement voir tout cela au service d’une histoire plus personnelle. L’annonce d’un prochain film de Timo Tjahjanto en solo, The night comes for us, écrit par Gareth Evans, avec le même chorégraphe et les mêmes acteurs que dans les The Raid ne semble pas aller dans cette direction.
Killers : Bande-annonce
Killers : Fiche technique
Titre original : Killers
Réalisation : Mo Brothers (Kimo Stamboel, Timo Tjahjanto)
Scénario : Takuji Ushiyama, Timo Tjahjanto
Interprètation : Oka Antara, Kazuki Kitamura, Rin Takanashi, Luna Maya
Photographie : Gunnar Nimpuno
Musique : Aria Prayogi
Production : Yoshinori Chiba, Shinjiro Nishimura, Kimo Stamboel, Timo Tjahjanto, Takuji Ushiyama
Société de distribution : Wild Side
Sélections : Films de minuit au festival Sundance 2014 , Etrange Festival 2014
Genre : Thriller
Durée : 02h17
Date de sortie : 26 novembre 2014 en DVD
Indonésie / Japon – 2014