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« Ubérisation, et après ? » : bataille autour des conditions de travail

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le sénateur communiste Pascal Savoldelli s’est entouré d’une cohorte de spécialistes et de personnalités engagées (Dominique Méda, Leïla Chaibi, Raphaël Pradeau…) pour traiter de l’ubérisation de l’économie et des enjeux qu’elle porte en son sein.

Précarité, management algorithmique, liens de subordination dissimulés, absence de protection sociale, atteinte à la santé, discours fallacieux sur la flexibilité et le micro-entrepreneuriat : d’un bout à l’autre de Ubérisation, et après ?, ouvrage coordonné par le sénateur communiste Pascal Savoldelli, il nous est rappelé sans ambages que la logique néolibérale a été portée à incandescence. Les chauffeurs VTC, les livreurs, les travailleurs du clic, ceux des services d’aide à domicile, tous sont soumis à un modèle impitoyable résumé en un néologisme : ubérisation, c’est-à-dire l’autoentrepreneuriat adossé au capitalisme de plateforme. Isolés, ne percevant leur marché du travail que sous forme d’angle mort, assujettis à des algorithmes et des systèmes de notation, ces « indépendants » précarisés, peinant généralement à joindre les deux bouts, cherchent aujourd’hui à faire entendre leur voix dans des syndicats, des associations, des coopératives, voire dans l’enceinte des tribunaux, une bataille rendue difficile par l’atomisation professionnelle et les nombreuses inconnues algorithmiques.

Ubérisation, et après ? prend la forme d’un recueil de textes et d’interviews unifié par un même objet d’étude : le capitalisme de plateforme, ses failles et ses faux-semblants. Ces derniers sont largement connus : Uber, Deliveroo et consorts permettraient de mettre au travail des individus considérés comme inemployables, notamment des jeunes de cité privés de tout horizon professionnel. Pascal Savoldelli et ses nombreux intervenants passent au tamis critique cette image d’Épinal, arguant que ces nouveaux autoentrepreneurs s’enferrent in fine dans un système qui les pousse à accumuler les heures de travail pour gagner tout au plus l’équivalent du smic (quand ils y parviennent). Le Collectif des livreurs autonomes de plateformes (CLAP) et des chercheurs tels que Sophie Bernard ou Sarah Abdelnour, toutes deux sociologues, y opposent une nécessaire mobilisation collective, tout en pointant les obstacles auxquels cette dernière se heurte : un dialogue quasi impossible (isolement des travailleurs) ou cantonné à des réseaux sociaux où les pseudonymes altèrent la confiance et où les échanges, bien que réels, demeurent sommaires.

S’il y a une société que la crise sanitaire a remis au centre des attentions, c’est bien Amazon. Ça tombe bien, le porte-parole d’Attac France Raphaël Pradeau en déconstruit le modèle dans un chapitre sur la fiscalité des géants du numérique. Car non content de comprimer les salaires, d’envoyer des colis à des centaines de kilomètres de ses entrepôts, d’encourager la surconsommation et de s’implanter dans d’anciennes zones industrielles en jouant les chevaliers blancs, le groupe du multimilliardaire Jeff Bezos pratique abondamment l’optimisation fiscale, réduisant ainsi à leur étiage ses contributions au financement de l’État-providence. Il est d’ailleurs rappelé dans l’ouvrage que 80 à 100 milliards d’euros manquent chaque année aux finances françaises, soit approximativement l’équivalent du déficit public. C’est certes un problème qui a partie liée avec l’ubérisation, mais qui l’outrepasse toutefois : le nouveau capitalisme est apatride et ses cohortes d’experts fiscalistes sont en mesure de le soustraire à l’impôt.

Le tableau est sombre, mais ce n’est pas une raison pour en détourner le regard…

Ubérisation, et après ?, ouvrage collectif coordonné par Pascal Savoldelli
Éditions du Détour, septembre 2021, 272 pages

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