« Parlons géopolitique ! » : ce qui agite le monde

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Baptist Cornabas est essentiellement connu en tant que vidéaste amateur sur Youtube. Il y publie des vidéos didactiques sur sa chaîne intitulée Parlons Y-stoire. Il est aussi professeur et auteur. Son dernier ouvrage paraît aujourd’hui aux éditions Larousse et est consacré aux grands enjeux géopolitiques, qu’il vulgarise, simplifie quelque peu, mais surtout met en perspective avec une grande rigueur.

L’Algérie, Hong Kong, le Venezuela, le Yémen, la Libye, le Soudan, le conflit indo-pakistanais, le Groenland, la Macédoine… Aucun doute : Parlons géopolitique ! comporte quelques chapitres sur les « dossiers » les plus chauds du moment. On y trouve aussi des sujets – la Chine ou la Corée, par exemple – déjà largement commentés sur la chaîne Parlons Y-stoire, sur laquelle œuvre Baptist Cornabas. Avec le rôle de l’ONU, l’élargissement européen ou les BRICS, des thèmes plus classiques, grands coutumiers des catalogues géopolitiques, se voient également passés en revue.

Trente-trois chapitres en tout, une dizaine de pages en moyenne. Osons une sélection subjective.

1/ Le tube de l’été : Hong Kong
8 juin 2019. Une manifestation rassemble un million de personnes à Hong Kong selon les organisateurs, 240 000 « seulement » si l’on en croit la police. Une semaine plus tard, ce ne sont pas moins de deux millions de personnes qui défilent dans les rues, soit plus d’un Hongkongais sur quatre ! Sur les antennes de France Culture, ces événements sont commentés par le menu. Courrier international en a même récemment fait sa une. Tout ça en raison d’un nouveau texte législatif censé faciliter l’extradition de certains criminels vers la Chine continentale ? Baptist Cornabas revient aux racines du mouvement de contestation et explique que les habitants de cette région administrative spéciale (RAS) cherchent avant tout à préserver – et même à renforcer – leur autonomie vis-à-vis du voisin chinois. Et pour cause : la colonisation britannique, résultant de la guerre de l’Opium et du traité de Nankin, dura 156 ans et aboutit à des spécificités royalement ignorées à quelques encablures de là, telles que la liberté d’expression, de réunion ou de la presse. Non seulement Hong Kong fut déjà échaudée en 2014 lors du mouvement des parapluies (la Chine essayait alors de mettre en place un comité de sélection des candidats aux élections), mais la RAS redoubla de vigilance cette année, considérant qu’une nouvelle loi d’extradition, bien que cachée derrière le paravent du pragmatisme, pourrait avant tout servir à Pékin dans sa traque obstinée des opposants politiques. Baptist Cornabas conclut son chapitre en arguant qu’Hong Kong n’appartient finalement qu’à… Hong Kong. « Mais jusqu’à quand ? »

2/ Le serpent de mer : l’ONU
Mêmes constats, mêmes vœux. À peu de choses près, les analyses sur l’ONU se succèdent et se ressemblent. Baptist Cornabas a le mérite de rappeler dans quel cadre historique s’est inscrite l’Organisation des Nations unies, de l’appel à la paix de l’abbé de Saint-Pierre à la Conférence de Yalta, en passant par les Quatorze Points du président Wilson ou les défaillances de la Société des Nations (SDN). Sont (évidemment) pointés du doigt : le Conseil de sécurité et ses droits de véto, le mode de désignation extrêmement balisé (et opaque) du Secrétaire général de l’ONU, quelques scandales (dont les viols perpétrés par des Casques bleus ou les cadres corrompus du programme « Pétrole contre nourriture »), les nombreux échecs dans le maintien de la paix (Rwanda, ex-Yougoslavie), la préservation du patrimoine (Bâmiyân en Afghanistan, Palmyre en Syrie) ou la prévention et le contrôle des maladies (sida). Pourtant, en dépit de toutes ces faiblesses, parfois conceptuelles, Baptist Cornabas prend le parti, comme tant d’autres observateurs, de plaider en faveur de l’ONU, rappelant ses succès dans l’éradication des CFC (responsables de la destruction de la couche d’ozone), son rôle dans la promotion des droits de l’homme à travers de multiples Conventions ou encore ses réussites dans les programmes humanitaires (Yémen) ou de maintien/construction de la paix (Mali, Darfour). Pas de surprises donc, mais un travail honnête – et relativement convenu – de vulgarisation. Une remarque qui pourrait pareillement s’appliquer aux chapitres sur la candidature turque pour l’UE, sur les BRICS ou sur le conflit israélo-palestinien.

3/ L’invité surprise : Nauru
Baptist Cornabas évoque le « paradis détruit » de l’« île agréable ». Disputée par les puissances coloniales, longtemps sous influence britannique et australienne, Nauru devient une République indépendante en 1968. Dans les années 1970, l’île, qui doit pourtant tout importer, devient le deuxième pays le plus riche au monde, derrière l’Arabie saoudite ! Le PIB par habitant est alors de 50 000 dollars américains (plus de 200 000 euros d’aujourd’hui). À quoi est due cette incroyable réussite économique ? Aux excréments accumulés des oiseaux migrateurs, transformés en phosphate pétrifié – une ressource très convoitée, dont Nauru dispose en grande quantité (et qualité). Les recettes de l’exploitation minière permettent à l’île de se moderniser à marche forcée : station de télécommunication satellite, aéroport international, compagnie aérienne et maritime, téléphone pour tous, routes, supermarchés et… impôt zéro ! Le hic, passé dans le langage courant sous l’expression de « maladie hollandaise », c’est que Nauru ne diversifie pas son économie, si ce n’est par quelques paris immobiliers hasardeux et infructueux… Résultat : le pays sort exsangue de l’exploitation du phosphate, avec un chômage à 90% (!), un taux d’obésité à 46% (!) et un retour au statut de pays en développement (!). Pour glaner quelques ressources, le pays se met alors à monnayer ses votes aux assemblées générales de l’ONU et se mue en paradis fiscal pour les multinationales et les banques… Son écosystème a quant à lui été irrémédiablement endommagé, puisque la surface de l’île a été creusée à plus de 90% pour trouver du phosphate et que la forêt tropicale a été entièrement détruite.

4/ L’absent omniprésent : l’aspiration à la démocratie et à la prospérité
Inégalités sociales et territoriales dans les pays émergents, Hong Kong cherchant à préserver ses acquis démocratiques contre une Chine hégémonique, la Turquie échouant à satisfaire aux critères d’entrée européens, des manifestations pour l’alternance et la démocratie en Algérie, un Soudan aux mains d’un dictateur et où l’inflation et le manque de biens de première nécessité mettent à mal les populations, une Syrie plongée dans le chaos parce que des terroristes y sévissent et que Bachar el-Assad s’accroche obstinément au pouvoir… Ce qui transparaît des écrits de Baptist Cornabas, c’est que la géopolitique est avant tout une affaire de droits de l’homme, de démocratie et de conditions de vie. Ils sous-tendent la majorité des sujets abordés dans cet ouvrage. Au Moyen-Orient, en Érythrée, au Venezuela, dans l’opposition entre les modèles nord-coréen et sud-coréen, il ressort à chaque fois que des dispositions lacunaires dans l’un ou plusieurs de ces domaines peuvent être l’étincelle qui met à feu un pays. Ces questions auraient peut-être mérité à elles seules un chapitre transversal. À défaut, Baptist Cornabas expose leur rôle moteur dans plusieurs des dossiers les plus médiatisés du moment.

Parlons géopolitique !, Baptist Cornabas
Larousse, août 2019, 352 pages

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