Dans Les Italo-Américains à l’écran, paru aux éditions LettMotif, Régis Dubois et Dorian Oliva interrogent la représentation des immigrés italiens à Hollywood, longtemps caractérisée par des stéréotypes mêlés à une sorte de mépris de classe.
À la fin du XIXe siècle, les États-Unis ont connu une vague significative d’immigration italienne, marquée notamment par des arrivées nombreuses à New York. Little Italy y a vu le jour et le quartier est devenu un symbole d’espoir pour de nombreux immigrants cherchant une vie meilleure. Cependant, la réalité était souvent loin de leurs aspirations, comme en témoignent les auteurs.
Little Italy, avec ses rues étroites et ses bâtiments surpeuplés, offrait des conditions de vie précaires et difficiles. En dépit de leur contribution importante au tissu économique et culturel de la ville, les immigrants italiens ont dû faire face à une discrimination sévère. Les stéréotypes et les préjugés raciaux étaient monnaie courante, et des médias influents comme le New York Times ont à leur tour contribué à la perpétuation de ces idées. Pendant des décennies, le journal a en effet véhiculé des clichés sur les Italiens, les dépeignant volontiers comme sales, criminels ou socialement inférieurs. Ces représentations médiatiques n’ont pas manqué d’alimenter le racisme et l’exclusion.
Le cinéma n’évolue pas dans un monde à part et a longtemps corroboré la caricature des Italiens, en les réduisant à des stéréotypes simplistes. Les Italo-Américains à l’écran explique, dans le détail, que pendant des décennies, les personnages italiens étaient représentés soit comme des mafieux impitoyables, des immigrants prolétaires luttant contre la pauvreté, ou des séducteurs latins. Le public, les médias, le cinéma : tous portaient les mêmes idées reçues, qui se renforçaient à force d’insistance et de biais de confirmation.
L’un des exemples les plus emblématiques de cette tendance est probablement le personnage de Tony Camonte dans le film Scarface de 1932. Doté d’une apparence peu attrayante, d’une sexualité incestueuse et de méthodes brutales, ce gangster balafré symbolisait parfaitement l’image négative associée aux immigrants italiens. Par contraste, Rudolph Valentino, avec son aura de « latin lover », représente un autre cliché réducteur. Le Code Hays, introduit dans les années 1930, a réduit certaines représentations jugées inappropriées ou taboues, y compris la glorification du crime organisé. Cela a freiné temporairement la production de films sur la mafia, mais n’a pas pour autant effacé les stéréotypes existants.
L’histoire des Italiens dans le cinéma américain est longue et complexe. Au début, les Italo-Américains étaient principalement spectateurs, projectionnistes ou propriétaires de salles de cinéma, mais rarement derrière la caméra en tant que réalisateurs, ou devant en tant que comédiens. Avec le temps, cette dynamique a cependant changé de manière significative. C’était d’autant plus important que sur le plan social et politique, comme le notent les auteurs, les ambassadeurs italo-américains étaient peu nombreux, et pas toujours des plus fréquentables.
Après la Seconde Guerre mondiale, une première inflexion se fait déjà sentir : Hollywood commence alors à modifier son discours, contribuant à la lutte contre le racisme et cherchant à présenter une image plus positive des Italo-Américains. Frank Sinatra remporte un Oscar pour son rôle dans Tant qu’il y aura des hommes, un succès que certains attribuent toutefois… à des connexions mafieuses. Joe Di Maggio devient une légende du baseball et attire l’attention en épousant Marilyn Monroe. Parallèlement, des films comme Vacances romaines, avec Audrey Hepburn, et la collaboration entre Ingrid Bergman et Roberto Rossellini en Italie, contribuent à une perception plus positive de l’Italie et de ses citoyens.
Cependant, la Commission Kefauver, qui enquête sur le crime organisé, lie à nouveau les Italiens à la mafia, altérant leur image dans l’opinion publique et à Hollywood. Cette vision est renforcée par des séries comme Les Incorruptibles, qui mettent en scène des affrontements entre des policiers héroïques et des gangsters aux patronymes italiens. L’histoire que content Régis Dubois et Dorian Oliva comporte de nombreuses ramifications, et l’image des Italiens dans la culture audiovisuelle (dans un sens large) n’a jamais été figée dans le temps.
Les années 70 marquent évidemment un tournant majeur, avec l’émergence de réalisateurs comme Martin Scorsese, Brian De Palma, Michael Cimino, et surtout Francis Ford Coppola avec Le Parrain. Ces films, bien que salués pour leur excellence, renforcent malheureusement, parfois, les clichés portant sur les Italiens mafieux. Des œuvres telles que Serpico, Rocky et La Fièvre du samedi soir présentent une image plus variée, mais n’échappent pas toujours aux stéréotypes. On songe par exemple à Paulie, le beau-frère prolétaire et alcoolique de Rocky Balboa.
Politiquement, l’époque est marquée par les luttes pour les droits civiques et une tentative des républicains de rallier les « white ethnics », avec des figures comme Sinatra soutenant Nixon. Au cinéma, l’histoire de l’immigration italienne aux États-Unis, marquée par des événements sombres comme le lynchage de la Nouvelle-Orléans et l’adoption d’une logique mafieuse durant la Prohibition, est explorée sous un nouvel angle. Martin Scorsese, en particulier, est salué pour sa représentation authentique de la mafia, vue comme une extension de sa propre expérience à Little Italy. Il restitue à l’écran des choses qu’il pouvait observer depuis la fenêtre de sa chambre d’enfance.
Les Italo-Américains à l’écran explore ensuite en profondeur le cinéma son cinéma, se concentrant sur la mafia comme une « deuxième famille » et sur la représentation nuancée de l’individu italo-américain, parfois certes mafieux et violent mais bien plus complexe qu’il n’y paraît. L’ouvrage revient aussi longuement sur Les Soprano, qui représente une évolution majeure en offrant une double perspective sur la famille et une narration plus enchevêtrée et complexe, tout en explorant les liens, à la fois intimes et distants, avec l’Italie originelle. Cette série approfondit la représentation des Italo-Américains, dépassant les clichés par une caractérisation foisonnante.
En appendice de cet excellent essai, aussi pertinent sur les représentations des Italo-Américains au cinéma que sur l’histoire des primo-arrivants à New York, on retrouve des interviews de comédiens et d’universitaires, qui fournissent une réflexion plus large et personnelle sur la place des Italiens sur les écrans.
Les Italo-Américains à l’écran, Régis Dubois et Dorian Oliva
LettMotif, janvier 2024, 280 pages