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Comprendre « La Vie psychique du racisme »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Livio Boni et Sophie Mendelsohn, tous deux psychanalystes, puisent au point de rencontre entre la psychologie et l’aventure coloniale de quoi expliquer la persistance d’un racisme post-colonial.

Si La Vie psychique du racisme cite nommément les Britanniques Ernest Jones (colonialisme intérieur des Irlandais) ou Owen Berkeley-Hill (question de la couleur et des castes en Inde), c’est essentiellement à travers la France et le philosophe-psychanalyste Octave Mannoni qu’il s’intéresse à la question du racisme. Son livre Psychologie de la colonisation (1950) nourrit en effet l’essentiel des réflexions engagées dans l’essai de Livio Boni et Sophie Mendelsohn.

Octave Mannoni évoque un complexe d’infériorité des Européens. Il argue également que le Blanc, se pensant porteur d’une exceptionnalité, prête à l’Autre, le colonisé, tout ce qu’il a rejeté : la primitivité, la magie, les croyances… Le psychanalyste français complète cette dialectique par un complexe de dépendance des populations autochtones. Il existerait ainsi, selon Mannoni, une interpénétration psychique des deux populations, colonisatrices et colonisées. Dans Peau noire, Masques blancs (1952), Frantz Fanon évoquait quant à lui des Noirs aliénés au regard des Blancs.

Le sous-titre de cet essai, « L’Empire du démenti », doit évidemment beaucoup à Freud. Le démenti a pour point de départ la présence de deux hypothèses contradictoires chez une même personne. Exemple : les races n’existent pas, mais il y a quand même des différences biologiques entre les Blancs et les Noirs. Le sociologue Didier Fassin explique par ailleurs que la négation du racisme est de plus en plus importante. Du déni originel, qui était un accommodement avec soi-même, on est passé à la dénégation pure. Freud perçoit le démenti comme une modification du « moi » qui protégerait des représentations indésirables.

La Vie psychique du racisme passe par la critique de l’assimilation de Léopold de Saussure, par le super-ego individuel et collectif de René Laforgue, par la critique du complexe de dépendance de Césaire, par le complexe de Néron d’Albert Memmi, par la dimension libidinale du colonialisme ou encore par le « sadisme fabulatoire » qui pousse le personnel colonial à exagérer ses propres méfaits. Ce dernier point est d’ailleurs capital : Octave Mannoni explique qu’il permet de lutter contre un sentiment de précarité, mais aussi de déshumaniser le colonisé en lui prêtant une menace qui n’existe pas.

Il est parfois difficile de suivre le fil analytique de Livio Boni et Sophie Mendelsohn tant les concepts ont tendance à s’interpénétrer et se nourrir les uns des autres. Parmi eux, on retiendra toutefois le voile de couleur de W.E.B. Du Bois, qui postule que les Noirs ont à supporter une condition déréalisante (au sens psychologique du terme), tandis que les Blancs peuvent s’exempter à bon compte du problème racial. Sur la femme dans les États coloniaux, il est rappelé qu’elle avait la charge d’assurer un cordon sanitaire anti-métissage. Les relations sexuelles d’une Blanche avec les indigènes étaient en effet souvent proscrites. La plainte du Blanc (la fraternité post-coloniale refusée par les Noirs) comme celle du Noir (l’absurdité de la couleur de peau) ou le système des croyances conditionnant le démenti figurent également en bonne place dans l’essai.

La Vie psychique du racisme, Livio Boni et Sophie Mendelsohn
La Découverte, mars 2021, 264 pages

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