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Une brève histoire de la « Géopolitique des énergies »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Professeur de géopolitique, Cédric Tellenne propose aux éditions La Découverte, dans la collection « Repères », un opuscule passionnant sur les questions énergétiques.

La « relation symbiotique » entre l’homme et l’énergie ne date pas d’hier. Durant le XXe siècle, quelque 1000 milliards de barils furent consommés par les ménages et l’industrie. Dans la longue histoire humaine, c’était alors un fait inédit. Pendant longtemps, les évolutions ont été lentes et l’homme n’employait que de faibles quantités d’énergie pour ses activités quotidiennes. Une première révolution a lieu au XVIIIe siècle avec l’avènement du charbon de terre, avant qu’une deuxième n’advienne vers 1870-1890, concomitante au moteur à explosion, à l’ampoule électrique et… au pétrole. Ce dernier connaît un essor fulgurant, minutieusement conté par Matthieu Auzanneau dans son ouvrage Or noir. La navigation maritime, la pétrochimie, le chauffage domestique, la voiture ou l’éclairage urbain requièrent en effet l’usage d’une énergie abondante et facile à transporter. Ce n’est toutefois qu’un début : entre 1900 et 1940, la production mondiale d’électricité est multipliée par cinquante.

L’économiste libéral Walter W. Rostow a très bien expliqué comment les sociétés passent d’un stade agraire à un stade postindustriel. Ce processus s’accompagne d’une consommation importante d’énergie. Mais ses sources d’approvisionnement sont diverses et changeantes. Au cours des deux derniers siècles, la part du charbon dans le mix énergétique mondial a baissé (malgré une capacité de résilience notable), celle du pétrole a explosé, et les énergies renouvelables et non conventionnelles ont fait une apparition tardive mais remarquée. Les évolutions s’élaborent toutefois sur un temps long : selon l’AIE, pétrole, gaz et charbon devraient encore représenter 80% de la consommation énergétique mondiale en 2040. Sur l’électricité, les énergies non émettrices en gaz carboniques s’en sortent mieux, puisque l’hydroélectricité et ses 45 000 barrages pèsent environ 17% de le production mondiale totale et que 15% relève du secteur nucléaire – avec en sus 70 réacteurs actuellement en chantier dans le monde. L’OCDE prévoit d’ailleurs un doublement de la capacité nucléaire globale d’ici 2050, avec l’emploi de réacteurs de troisième génération plus performants et de potentielles avancées technologiques sur les réacteurs de quatrième génération – à haute température, et brûlant tant de l’uranium que du plutonium.

Cédric Tellenne livre dans son ouvrage une vision panoptique et particulièrement dense des questions énergétiques. Il explique les tenants de la « maladie hollandaise » (des tensions géopolitiques à la détérioration des termes de l’échange en passant par un goût pour l’assistanat), il raconte la création et les grandes batailles de l’OPEP (dont la fameuse Conférence de Téhéran de 1971), il revient sur le report continuel du pic pétrolier tel que prophétisé par Marion King Hubbert (en raison des découvertes de nouveaux gisements), il se penche sur la guerre du gaz bolivienne de 2003, sur la dépendance énergétique recouvrée des États-Unis (grâce aux pétroles de schistes) ou encore sur les conflits motivés, affectés ou accélérés par les questions énergétiques (révolution iranienne, guerre Iran-Irak, guerre israélo-arabe…).

Surtout, puisqu’il est question de géopolitique, le lecteur est appelé à (re)découvrir des cartes du monde à tout le moins fascinantes. Le Moyen-Orient et le Golfe persique continuent de représenter à eux seuls 60% des réserves mondiales de pétrole et 40% de sa production. France, Grande-Bretagne, Japon, Allemagne, États-Unis, Russie et Canada constituent les principales puissances du nucléaire. Le Canada pourrait prochainement devenir un géant énergétique, grâce au pétrole et gaz non conventionnels, tandis que l’Amérique latine détient les secondes réserves mondiales de pétrole et que l’Afrique se distingue par des gisements importants mais inexploités. Enfin, dans un long chapitre consacré aux voies d’acheminement, il est rappelé que la Méditerranée et la mer Noire forment des routes de transit capitales pour le pétrole.

La pluralité des axes de réflexion rend l’ouvrage particulièrement pertinent. L’auteur évoque la fabrication et l’usinage des énergies renouvelables, chers en métaux rares et en énergie, les problèmes de stockage et la dépendance aux subventions de ces même ENR, les biocarburants de deuxième génération, qui permettraient de produire sur une même surface des produits utiles à l’alimentation et à l’énergie, en exploitant les parties non comestibles des plantes ou les déchets agricoles. Cédric Tellenne s’intéresse aussi à l’organisation des marchés énergétiques (marché physique au comptant, à terme ou marché des futures) ou à l’oligopole pétrolier de cinq firmes (BP, Shell, Total, Exxon-Mobil, Gulf-Chevron). Il revient sur plusieurs épisodes notoires de corruption ou de collusion politique : Elf en France, Petrobras au Brésil, Gazprom ou Rosneft en Russie… Et il n’élude pas non plus l’Europe : les États du vieux continent avancent en ordre dispersé, avec des mix énergétiques et des fournisseurs différents d’un pays à l’autre. Leur attitude face à la Russie diverge énormément. Mais une chose les réunit cependant : leur dépendance aux importations énergétiques, probablement l’un des plus grands enjeux de demain.

Géopolitique des énergies, Cédric Tellenne
La Découverte, février 2021, 128 pages

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