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Festival des 3 Continents : du Cinéma avec le nouveau film de Jia Zhangke

Festival des 3 Continents – Nantes fête le « chinéma »

Malgré son titre de plus grande puissance mondiale, la Chine est un pays que l’on connait très peu ; sa population et son passé s’étendent dans des dimensions que nous avons du mal à concevoir. De même que sa culture, ou ses cultures dira-t-on. Un territoire qui abrite autant de personnes qu’un continent ne peut s’envisager que selon une masse, un flux continu de gens que l’on a du mal à individualiser. Nous avons donc des Chines et un Chinois, un rapport de force qu’il conviendrait de renverser afin d’apprivoiser le micro, le quotidien, l’instantané de cette fameuse République populaire de Chine. Le premier long métrage (en compétition) de Bi Gan nous offre peut être ici une clé de perception ; une balade au sein d’une région qu’il connait bien rythmée par une lutte entre rêverie et réalité. Au cœur du Guizhou, au Sud du pays, noyée dans des montagnes verdoyantes, la ville inachevée de Kaili s’étend à perte de vu. Voyous et médecins se côtoient et s’évitent, dans ce récit l’un est frère avec l’autre ; et Chen (le médecin) part à la recherche de son neveu Wei Wei, vendu par son père. Si le film nous parait très inanimé au début, c’est sans doute que le rythme somnolent et évasif de Bi Gan se confond avec cette moto qui ne démarre jamais du premier coup. Mais dès que le véhicule démarre le cinéaste trouve son tempo ; et il se réjouit du mouvement d’une barque languissante ou d’une moto vrombissante, qu’il capte en plan séquence. Avec cette caméra subjective et effacée, comme un regard dans le vide, il se laisse flotter dans les interactions des habitants. Notamment avec cette très longue séquence qui nous perd dans une déambulation labyrinthique dénuée de sens, où le parcours somnambule du cinéaste capture une particule de vie. La quête inaboutie et finalement injustifiée de Chen, n’est qu’un prétexte, une armature improvisée pour soutenir le regard rêveur et pensif de Bi Gan.

Le festival des 3 continents présentait également (en avant première) le nouveau film de Jia Zhangke, le cinéaste chinois contemporain qui a sans doute la notoriété la plus rayonnante en Europe. Récompensé à Venise (Still Life, 2006) puis à Cannes il y a 2 ans pour A Touch of Sin (Prix du scénario), il était de nouveau en compétition pour Mountains may depart cette année, après avoir fait partie du jury lors de l’édition 2014. Autant dire que le réalisateur bénéficie d’une certaine côte d’amour en France. Et peut être particulièrement à Nantes, puisque ses deux premiers films remportent la montgolfière d’or au festival des 3 continents (Xiao Wu artisan pickpocket 1998 ; Platform 2000). Mountains may depart sortira dans nos salles le 23 décembre, mais on peut déjà le dire : le 11ème long métrage de Jia Zhangke est une belle réussite. En articulant son film en 3 périodes temporelles distinctes ; l’une révolue, l’une présente, et l’une à venir, le cinéaste propose une réflexion sur l’évolution de son pays tout en filmant un mélodrame gracieux et tragique. En 1999, premier volet du triptyque, les histoires de 3 jeunes chinois s’entrelacent au sein d’un triangle amoureux sous fond de lutte de classe. L’un est un prolétaire, « gentil » mineur sans avenir, l’autre est un investisseur impétueux et narcissique, l’un est la Chine qui meure l’autre celle qui renait. Évidement les deux se sont amourachés de la même femme, et la concurrence est âpre, violente et va atteindre des propensions démesurées. Du choix que fera l’heureuse élue, ses répercussions s’étaleront jusqu’en 2014, puis en 2025. Ce cloisonnement et ces ellipses permettent d’embrasser une vision large, où le déclinisme culturel semble balancer avec le développement économique. Les liens se délitent, les langues se confondent, les visages s’oublient au fur et à mesure que, paradoxalement, l’image s’éclaircie et s’épure. Car c’est le jeu du progrès, de l’ascension sociale, et de l’Occidentalisation ; le renouveau de la Chine charbonnière a un prix, celui des iPhones que l’on s’offre aux mariages et de la prédominance de la langue anglaise. Jia Zhangke montre froidement ces racines que l’on arrache, l’exode forcé de la jeunesse chinoise ; où finalement l’abandon de la mère, patrie comme maternelle, est un poison qui condamne à vivre perdu. Mais plus qu’un conteur moderne, le cinéaste chinois est aussi un formidable metteur en scène. Subtil dans son jeu du hors champ, accentuant toujours une solitude voir une perdition. Habile dans son utilisation du 4/3, des leitmotivs, et fasciné par (sa femme) Zhao Tao, bouleversante et au cœur de l’une des plus belles scènes finales de l’année.

Festival des 3 Continents | Mountains May Depart – Extrait  VOST

Rédacteur LeMagduCiné