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Cannes 2018 : « Le Festival de Cannes remballe » La conférence de presse de clôture

Gwennaëlle Masle Responsable Cinéma LeMagduCiné

Edouard Baer avait ouvert la 71ème édition du Festival de Cannes d’une main de maître mardi 8 mai 2018. Hier soir, l’acteur a été moins glorieux pour la clôture mais heureusement, le jury, en conférence de presse, a su égayer cette fin de Festival, toujours pleine de nostalgie.

« Le festival de Cannes remballe », c’est comme un slam que l’acteur Edouard Baer prononce son discours de clôture proposant à tout le monde d’ « Aller ensemble et plus loin ». Puis il laisse place au palmarès avec un premier prix d’interprétation féminine décerné par l’actrice italienne Asia Argento. Le premier coup de poing dans la soirée, en plein dans Weinstein puisqu’elle déclare s’être faite violée par le producteur il y a 21 ans, ici même, à Cannes et incendie la salle en quelques phrases accusatrices. Aussi bien dans le théâtre Lumière que dans la salle de conférence de presse où est retransmise la cérémonie, le silence est grand et le respect immense.

Puis les prix s’enchaînent et les malaises aussi. Edouard Baer ne maîtrise plus grand chose et la cérémonie tourne à la catastrophe. Le prix du scénario partagé entre deux films montre une scène pas du tout à la hauteur du prestige même si l’on notera l’hommage à Jafar Panahi, assigné à résidence en Iran. Puis la musique s’emballe pour le prix Un certain regard alors que ni le réalisateur, ni Benicio Del Toro, ni même le maître de cérémonie ne semblent comprendre ce qu’il se passe. Autant la cérémonie d’ouverture était géniale, autant la clôture est très gênante et lourde. On retiendra aussi de cette soirée la venue de Roberto Benigni, qui illumine toujours le Festival avec son incroyable joie de vivre et la Palme d’or spéciale attribuée à Jean Luc Godard, pour l’ensemble de son œuvre. Pour achever cette 71ème édition, les lauréats et les jurys terminent la soirée en haut des marches du tapis rouge au rythme de Roxanne, chanté par Sting.

Puis le jury se livre au dernier exercice de leur lourde tâche, l’ultime conférence de presse. Cate Blanchett et ses huit acolytes arrivent chacun leur tour, l’actrice australienne glisse quelques sourires forcés aux journalistes dans lesquels on sent bien l’épuisement de tout ce protocole, et pourtant, elle arrive encore à rire avec ses collègues et l’assemblée. La solidarité qui se dégage de leur groupe est assez incroyable et belle à voir, élire une palme d’or ensemble doit être une expérience intense et l’on sent tout le plaisir qu’ils ont eu à le faire.

Les questions s’orientent, comme prévu, directement sur les femmes et leur place dans les récompenses cannoises. 

Cate Blanchett : Nous tous, hommes ou femmes, membres du jury, on aimerait bien voir plus de réalisatrices. Je pense qu’il y a un mouvement en marche au sein du Festival de Cannes pour justement faire en sorte que la perspective féminine soit mieux représentée. Il y avait peut-être moins de réalisatrices à compter dans les femmes mais il y avait en tout cas des jeux d’actrices formidables. On a décerné un prix mais on aurait pu le donner à de nombreuses femmes. Dans le monde de la création, lorsqu’il n’y a qu’une seule perspective, la créativité disparaît. Dans un monde dit de diversité, il y a plus de perspectives et c’est plus intéressant.

Comment avez-vous décider de choisir Une affaire de famille ? Est-ce que vous avez eu du mal ?

Cate Blanchett : Il n’y a pas eu d’effusion de sang, tout a été discuté dans le plus grand respect. Bien sûr c’était une année où on avait beaucoup de diversité, de films très puissants. Il fallait dépasser nos goûts. C’était une décision collégiale.

Léa Seydoux : C’était intéressant de partager la vision de tous les jurés. On a différents goûts, différents parcours, peut-être qu’on est influencés par nos milieux. Même si nous faisons tous partie de la grande famille du cinéma, on a tous des professions différentes. C’était plus des questions que des réponses.

Cate Blanchett : Il y a beaucoup de règles ici et la palme d’or doit réunir tous les éléments : jeu d’acteurs, mise en scène, photographie, etc. La décision a été difficile mais tout arrivait à point dans ce film, même si l’on a surtout été transporté par le jeu d’acteurs et la direction.

Denis Villeneuve : Ça a été un film coup de cœur qui nous a tous rejoint. Il y a une grâce dans ce film, une profondeur dans la mise en scène qui nous a tous beaucoup touché.

Pourquoi le très beau film de Nuri Bilge Ceylan n’a rien obtenu comme prix ?

Cate Blanchett : Je pense que le monde est éminemment politique. Les médias font que les questions humaines deviennent rapidement politiques. En tant qu’artistes dans le cinéma, nous avons décidé de regarder chaque film comme une œuvre d’art. On voulait exclure le contexte politique de notre regard et de nos choix. On voulait choisir les films qui nous avaient touchés. (…) On peut politiser la distribution des films, la manière dont les films voyagent mais la réalisation d’un film n’est pas politique.

Question à Denis Villeneuve : Y-a-t-il un film que vous avez défendu vivement, et si oui pourquoi ? 

Oui, j’ai gagné quelques batailles mais j’en ai perdu certaines aussi. Les décisions étaient collégiales. En tant que réalisateur,  j’avais l’impression que mon rôle était de défendre les films et pas de les juger. (…) L’expérience partagée de parler de cinéma était unique et je vais garder longtemps en mémoire ce souvenir. Ça va nous aider dans nos carrières respectives.

Comment choisir un bon film, une palme d’or ? Certains films sont faits avec un petit budget. Et par rapport à Godard, vous souhaitiez l’honorer ou récompenser son film ?

Cate Blanchett : Le film a eu un impact sur nous durant tout le festival, on ne pouvait pas arrêter d’en parler.  Le film est resté avec nous. C’est un artiste qui ne cesse d’expérimenter de nouvelles choses et change l’avenir du cinéma. Ce n’est pas une palme d’or honoraire, il faut le voir dans le contexte générale et voir son œuvre depuis toujours qui nous a profondément influencés. (…)

Pour la première question, on s’est dit qu’il fallait rester très ouvert par rapport à ce que le réalisateur cherchait à faire et il y avait différent budgets. Si on a la passion, la vision et une bonne équipe on peut toujours faire un bon film.

Denis Villeneuve : Il faut voir l’impact de la poésie dans un film, la manière de tourner les images, leur puissance.

Cate Blanchett : On provient tous de cultures cinématographiques très différentes. Le point de vue de Robert est très différent du mien par exemple.

Robert Guédiguian : Ce qui est très intéressant, c’est qu’à partir de goûts différents, on s’aperçoit qu’on est quand même très très porches finalement. J’ai été étonné de voir à quel point la dernière barrière internationale qui reste est finalement celle du cinéma. On rêve tous qu’il y en ait d’autres qui ouvrent : la justice, la poésie, la beauté, la bonté. Moi c’est ce à quoi j’expire.

Cate Blanchett : C’était magnifique d’avoir différentes générations représentées, on n’était pas un jury homogène.

Denis Villeneuve : Chacun a apporté sa passion.

Léa Seydoux : C’est toujours l’émotion qui l’importe.

Quels critères vous ont permis de sélectionner les films ? Il y avait un film kurde incroyable.

Cate Blanchett : Ce film est remarquable, puissant avec des performances d’actrices exceptionnelles, une réalisation brillante. Quand on regarde ses films précédents (ndlr : Samal Yeslyamova, actrice principale de Ayka de Sergey Dvortsevoy), on voit qu’elle choisit des sujets difficiles et les rend accessibles et ça, ça mérite des applaudissements. Malheureusement la dure réalité fait qu’on ne peut pas remettre des prix à tout le monde.

A propos du prix du scénario ex-æquo : 

Andreï Zviaguintsev (que tout le jury appelle Professeur) : C’était une tâche insurmontable, quasi impossible, on avait 7 prix à remettre pour 21 films. On a été obligés de faire des concessions. Mais le résultat est à la hauteur de nos efforts communs. Je ne peux pas vous en dire plus car on a signé un document, on ne peut pas ébruiter tout ce qu’il s’est dit entre nous.

À propos de Blackkklansman, de Spike Lee : 

Ava DuVernay : Parce qu’il le méritait.

Léa Seydoux : Le monde est en train de changer et nous pensons que ce film est un constat éclatant de ce changement et qu’il était nécessaire de le récompenser.

Khadja Nin : mais aussi parce que c’est un grand film qui porte un message

Cate Blanchett : Il y a un passage extraordinaire à la fin qui nous a tous marqués.

Ava DuVernay : En tant que réalisatrice afro-américaine, j’ai été très émue par ce film. Quand je suis arrivée, j’ai décidé de ne rien dire, d’écouter les autres membres du jurys, et à ce moment-là nous avons eu un débat puissant. Beaucoup de questions ont été soulevées. On a vraiment été unis par la passion du cinéma. Il y a eu des questions sur ce que vivent les afro-américains aujourd’hui aux États-Unis.

Cate Blanchett : C’est un festival international du film et quand un film représente très bien les particularités de son pays. Spike Lee a parlé d’un aspect très important des États-Unis et les non-américains se sont sentis liés par cet aspect américain. Le film dépasse les frontières des États-Unis.

La conférence de presse s’achève avec les remerciements d’Ava DuVernay à Cate Blanchett pour sa manière grandiose d’avoir mené ces discussions et d’avoir écouté tout le monde.

 

Responsable Cinéma LeMagduCiné