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The OA, une série de Zal Batmanglij : critique

Avec la série The OA, Netflix nous offre un superbe cadeau de Noël.

Synopsis : une femme est aperçue sur un pont, s’apprêtant à sauter dans le vide. Ses parents adoptifs la reconnaissent : il s’agit de Prairie Johnson, qui a disparu sept ans plus tôt. La jeune femme paraît troublée mentalement, elle ne reconnaît pas son prénom, mais surtout elle a recouvré la vue, alors qu’elle était aveugle au moment de sa disparition.

Chaque nouvelle série de Netflix est annoncée comme un événement. Voilà donc une série de huit épisodes, de longueur inégale, produite par Brad Pitt, écrite et interprétée par Brit Marling (actrice qui avait été vue auparavant dans Another Earth et I Origins). Une série qui s’annonce comme un mystère, à l’image de son titre.

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Dans un pilote fabuleux, les énigmes s’accumulent autour de cette jeune femme. Mystère dans son comportement (elle parvient à calmer un chien manifestement dressé pour tuer, elle refuse d’être touchée et elle semble dotée d’une empathie extraordinaire). Mystère dans ses propos surtout : elle ne reconnaît plus son prénom et se désigne sous le nom de AO ; elle affirme, entre autre, « être morte un nombre incalculable de fois », elle recherche activement un certain Homer et affirme avoir un plan pour lequel il lui faut cinq personnes « fortes et courageuses ».

Six personnages en équilibre

Se dresse donc le portrait d’un personnage en équilibre précaire, entre folie et santé mentale, entre liberté et emprisonnement. La série s’installe sur une frontière, comme si chaque personnage était un funambule, ne sachant de quel côté aller. Michelle, adolescente qui se drogue à la testostérone, a cet aspect androgyne qui nous fait hésiter constamment entre garçon et fille. Steven emploie la violence pour mieux cacher sa sensibilité. La professeur Broderick-Allen utilise souvent la sévérité mais se révèle pleine d’empathie. Chacun a une opposition franche entre sa personnalité réelle et ce qu’il montre aux autres (d’où l’emploi très fréquent des surnoms : Buck pour Michelle, French pour Alfonso, etc.).

Cet équilibre précaire se retrouve également dans le décor. La série se déroule dans une banlieue à demi-construite, lieu étrange où les maisons côtoient les terrains vagues, à la frontière entre ville et campagne, entre civilisation et nature. Le choix de tenir les réunions des six personnages dans une maison à demi-construite reprend encore ce symbolisme de l’équilibre.

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À la croisée des mondes

En avançant dans la série, on comprend vite à quoi correspond cette notion d’équilibre si souvent répétée. Dès la fin de l’épisode pilote, une majeure partie de la série se situe en flash-back, Prairie racontant son incroyable et passionnante histoire. La narration se construira constamment en aller-retours, alternant entre le récit de Prairie et ses conséquences sur les personnages. Et ce récit au passé va se dérouler, lui aussi sur une frontière, l’ultime frontière, celle qui sépare la vie de la mort.

Dans The OA, il est donc question d’équilibre, d’une frontière sur laquelle se tiennent des personnages qui jouent au funambule entre deux mondes : le personnage social et la réalité intérieure, la santé et la folie, la société et l’individu, la vie et la mort.

Les multiples prisons

L’emprisonnement et la liberté. La série joue énormément sur cette opposition également, se plaisant souvent à inverser les idées reçues sur le sujet. Les figures de l’enfermement se multiplient : l’aveuglement de Prairie, enfermée dans son monde d’obscurité ; l’enfermement dans des familles qui empêchent les personnages de développer pleinement leur potentiel (voir le cas d’Alfonso, par exemple) ; l’enfermement dans un système scolaire qui semble plus apte à exclure qu’à enseigner (pour Steven) ; l’enfermement dans une désignation sexuelle même pour Michelle.

Le corps lui-même apparaît comme une prison. Ainsi, la femme du sheriff qui se sent prisonnière de sa maladie, la sclérose en plaques, qui fait de son corps une geôle.

« La captivité c’est un état d’esprit. Tu la portes en toi ».

The OA, c’est finalement, en plus de tout le reste, une série sur la liberté. Une liberté qui vient souvent, paradoxalement, par un repli sur soi. Une liberté à trouver en soi-même. Ainsi Prairie aveugle est beaucoup plus libre que les voyants, par exemple. Car ceux qui sont dotés de la vue sont souvent prisonniers de ce sens, prisonniers d’une réalité visuelle qu’ils croient être le seul monde possible, la seule vérité possible. En ne voyant pas le monde, il est plus facile d’en admettre l’existence d’un autre, de même que ne pas pouvoir se fier à sa vue aide à développer les autres moyens de connaissance et d’appréhension de la réalité.

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« être aveugle, c’est très puissant », dira Prairie.

De fait, la réalisation va se faire très sensible et adopter le point de vue (sans mauvais jeu de mot) de Prairie. L’insistance sur les mains qui frôlent et les pieds sur le tapis, l’importance de la bande son vont rendre tangible ce monde sensible dans lequel la jeune femme évolue. De même, les gros plans sur la protagoniste mettent le spectateur en communion avec elle : la réalisation insiste alors sur les hors-champ, sur tout ce que le spectateur, comme Prairie, ne voit pas. Nous participons alors de son aveuglement en ne sachant rien du monde qui se situe autour d’elle.

Sans avoir recours à un déluge de trucages ou à des effets grandioses, la série happe littéralement son spectateur. Dès les premières minutes du pilote, il est impossible d’en sortir. Les épisodes s’enchaînent, le rythme est impeccable, à la fois lent et passionnant. L’interprétation est d’un très bon niveau, avec entre autres un Jason Isaacs impérial.

La production si particulière à Netflix permet d’avoir plus de liberté sur les épisodes eux-mêmes, sur leur durée particulièrement. Les épisodes sont d’une longueur très inégale, de 70 minutes pour le pilote à 30 minutes uniquement pour l’épisode 6. cela permet aux créateurs de ne faire un épisode que sur ce qu’ils ont réellement à dire, de ne pas créer de scènes de remplissage qui n’auraient aucun intérêt.

Alors, certes, il y a bien quelques défauts. Les scènes dans l’au-delà paraissent franchement kitsch, mais elles ne sont pas assez nombreuses pour que cela gêne véritablement le récit.

Peut-être le problème majeur provient des réponses aux énigmes. Les questions posées dès le premier épisodes sont tellement passionnantes que l’on est un peu déçu des réponses proposées. Déçu même qu’il y ait des réponses. Parfois, le mystère vaut mieux que les solutions. C’est par leur faculté à interroger le spectateur que les premiers épisodes étaient aussi extraordinaires.

Mais ne boudons pas notre plaisir quand même : The OA est, dans l’ensemble, une série passionnante, innovante, intelligente, sensible… tout ce que l’on attend de Netflix.

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The OA : bande-annonce

The OA : Fiche Technique

Créateur et réalisateur : Zal Batmanglij
Scénario : Brit Marling, Zal Batmanglij
Interprètes : Brit Marling (Prairie Johnson), Emory Cohen (Homer), Patrick Gibson (Steven Winchell), Brendan Meyer (Jesse), Brandon Perea (Alfonso, dit French), Ian Alexander (Michelle, dit Buck), Phyllis Smith (Elizabeth Broderick-Allen), Jason Isaacs (Hap, dit Angel Hunter).
Photographie : Lol Crawley
Musique : Rostam Batmanglij, Danny Bensi, Saunder Jurriaans
Montage : Matthew Hannam, Jonathan Alberts, Geraud Brisson
Production : Jill Footlick
Société de production : Plan B Entertainment, Anonymous Content
Société de distribution : Netflix
Genre : fantastique
Durée : entre 70 minutes et 30 minutes, selon les épisodes
Diffusion : 16 décembre 2016

États-Unis – 2016