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Les réalisateurs-scénaristes : Woody Allen

« Je suis relativement normal, pour un gosse élevé à Brooklyn » (Annie Hall)

Son visage, son débit de parole, ses citations, son amour de New-York et du jazz, ses références cinématographiques… Woody Allen est devenu un des cinéastes les plus connus actuellement. Après 50 ans de carrière, alors que sortira prochainement son 46e long métrage, et juste avant son 80e anniversaire, il est temps de faire le portrait de ce réalisateur dont le nom est devenu synonyme de cinéma d’auteur américain.
Allan Stewart Konigsberg est né dans le Bronx le 1er décembre 1935, mais il a grandi dans le quartier de Brooklyn. Sa famille avait peu d’argent depuis que son grand-père paternel, qui exploitait des salles de cinéma, a été ruiné lors de la Crise de 29. Son père multipliait les petits boulots : « chaque fois que je demandais à mes parents ce que faisait mon père, j’obtenais une réponse différente car il changeait souvent de métier. Ils répondaient « Ton père est un riche laitier », « ton père travaille en ville », « il est dans les affaires ». Je n’obtenais jamais de réponse claire. À cette époque, il a possédé une boutique, une sorte d’épicerie et il a fait tous ces autres boulots. Il a été bookmaker pour Albert Anastasia (un patron de la mafia). Il a même dirigé une salle de billard . »

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Le Complot d’Oedipe, dans New York Stories, 1989

Plus que son père, c’est, le plus souvent, l’image de la mère qui va peupler le cinéma de Woody Allen, une caricature de mère juive autoritaire, comme celle qui apparaît dans le ciel de New York dans Le Complot d’Œdipe (sketch réalisé par Woody Allen pour le film New York Stories, qui comprendra également une histoire de Scorsese et une autre de Coppola). Moins caricaturaux, les personnages maternels vont quand même avoir de l’importance dans les films du cinéaste, dans les drames (September) ou les comédies (Whatever Works).
Côté scolaire, on ne peut pas dire que le petit Konigsberg fut un élève modèle. Il était plus intéressé par la magie, le cinéma et le jazz, qu’il découvrit vers l’âge de 13 ans (il commença à jouer de la clarinette à 15 ans) que par les études. Et s’il s’est mis à lire (aussi bien des romans classiques que de la philosophie), ce fut uniquement pour impressionner les filles. Woody Allen se définit d’ailleurs comme « autodidacte ».
Woody, auteur comique
En 1952, il choisit le pseudonyme de Woody Allen pour signer les blagues qu’il écrit pour différents journaux et magazines. Puis il est engagé par la NBC pour dialoguer des séries comiques. Même s’il est un grand admirateur des Marx Brothers, son humour s’inspire surtout de l’œuvre de Bob Hope : « Hope et moi nommes tous les deux des auteurs de monologues. Et nos personnages pensent tous deux avoir du succès auprès des femmes. Nous sommes à la fois vaniteux et pas très courageux. Hope a toujours été une victime, mais un peu moins que moi. Je parais à la fois plus intellectuel et plus vulnérable. Mais nous avons tous les deux la même forme d’humour. Il m’arrive de penser que c’est le type le plus doué que j’aie vu de ma vie. Je n’arrête pas de l’imiter. Il m’arrive d’avoir du mal à ne pas le mimer Hope avait ce type de répliques insolentes que j’ai toujours appréciées. »
Il publie des nouvelles et commence une carrière dans le one-man-show. Son talent pour écrire des gags verbaux ou des situations absurdes le fait remarquer et il est engagé comme scénariste de Quoi de neuf Pussycat ?, une comédie de Clive Donner avec Peter Sellers. Alors qu’Allen est assez satisfait de son travail, le producteur décide de ne pas respecter son scénario. Amer, Woody Allen gardera cet épisode en mémoire et cherchera, plus tard, à avoir la plus grande maîtrise possible de ses films : « il ne me parait pas pensable de ne pas être présent à la moindre étape du film (et il ne s’agit pas d’un problème d’égo, c’est juste que je ne peux pas envisager les choses autrement). Si je considère l’ensemble du film comme un grand travail d’écriture, comment pourrais-je ne pas être là pour le montage, pour la bande-son ? Une fois passé le stade du scénario, on n’écrit plus à la machine à écrire, mais, quand on choisit les extérieurs, quand on fait la distribution, quand on est sur le plateau, on continue à écrire, vraiment. On écrit avec la pellicule, et quand on effectue le montage, quand on met la musique, on continue à écrire avec la pellicule. Pour moi, tout cela fait partie du processus d’écriture. »

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Prends l’oseille et tire-toi, 1969

Puis il se retrouve co-scénariste et acteur d’une parodie de James Bond, Casino Royale, film dont il n’est pas satisfait également. En parallèle, il connaît son premier succès théâtral avec la pièce Don’t drink the water, dans laquelle une famille juive se retrouve coincée dans une ambassade américaine en pays soviétique. Ce succès, associé à celui des deux films qu’il a écrits, va lui permettre de réaliser son premier long métrage. Ce sera Prends l’oseille et tire-toi, premier film d’une série de comédies absurdes et parodiques. Ici, il parodie les films noirs, sous la forme d’un documentaire sur Virgil Starkwell interrompu régulièrement par une interview de ses parents déguisés en Groucho Marx.

Ensuite, toujours dans le style parodique, Woody Allen s’occupera des révolutions sud-américaines (Bananas, dans lequel il donne un petit rôle à un jeune acteur inconnu, Sylvester Stallone) et d’un célèbre manuel d’éducation sexuelle (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe, film contenant sept sketches dont un, très célèbre, où Woody Allen tient le rôle d’un spermatozoïde déprimé).
Ces films, très drôles, obtiennent un grand succès et le public garde l’image d’un Woody Allen comique. Cependant, le cinéaste cherche à faire évoluer son style. Il ne veut plus faire de films qui soient des successions décousues de gags. Il voudrait que l’humour découle des personnages et non plus de situations comiques ou de bon mots enchaînés. Il commence à varier son type d’humour avec Woody et les Robots (tout en restant dans le style parodique, s’attaquant cette fois aux films de science-fiction) et Guerre et Amour, où les gags sont moins présents, au profit de dialogues plus poussés.
Annie Hall ou la tentation du drame
Mais Allen a envie d’autre chose. Dès le début de sa carrière de réalisateur, il envisageait les comédies comme un tremplin, un apprentissage avant d’aborder les drames : « Il est évident qu’une comédie est plus difficile à faire que quelque chose de plus sérieux. Mais pour moi, il est tout aussi évident qu’elle a moins de valeur. Elle a moins d’impact, et pour une bonne raison : quand une comédie évoque un problème, elle joue avec, mais elle ne le résout pas. Un drame évoque le problème de façon plus satisfaisante. Je ne veux pas paraître sévère, mais je trouve immature d’affirmer qu’une comédie est aussi profonde qu’un drame. »
Annie Hall, sorti en 1976, est un changement important dans la carrière de Woody Allen. Il met fin à ses comédies parodiques, qui lui ont assuré le succès, pour se lancer dans des films plus dramatiques, plus subtils, où la qualité des personnages tient la première place. Récompensé de quatre Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario et meilleure actrice), le film surprend le public habituel du cinéaste, au risque de le perdre : « Quand j’ai tourné Annie Hall, un tas de gens m’ont dit qu’il s’agissait d’une grosse erreur, que mon type de films c’était Bananas, Prends l’oseille et tire-toi, Guerre et amour, ce genre de trucs loufoques. En ce qui concerne Annie Hall, je me souviens d’autant plus de ces remarques qu’il ne s’agissait pas seulement de lettres de cinglés, mais de gens que je connaissais bien. Charlie Joffe me disait « Tu sais, j’ai des amis qui me demandent pourquoi tu perds ton temps à ça. » Évidemment, quand je fais des films sérieux, des remarques comme ça, j’en ai à la pelle. »

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Annie Hall, 1976

Beaucoup ont vu, dans Annie Hall (et dans d’autres films ultérieurs), un fort aspect autobiographique, ce dont Woody Allen se défend. « Certains détails (de Annie Hall) sont volés à la réalité, mais il ne faut pas y accorder plus d’importance que cela n’en a. La plus grande partie du film était imaginée, et très bien imaginée. Notre affection mutuelle était réelle, mais l’histoire était inventée, et pas seulement dans les détails. Je ne l’ai pas rencontrée de cette façon. Nous ne nous sommes pas séparés de cette façon. Notre relation n’était pas celle-là. Il y a peut-être, ici et là, une petite bribe de réalité, mais très peu. Il y a aussi des bribes de la vie de Marshall Brickman, et des choses inventées. » Le seul film qu’il affirmera ouvertement être inspiré de sa vie sera Radio Days, sorti en 1987.
Woody et la musique
Après Annie Hall, Woody Allen tournera un drame très intense, largement inspiré de l’œuvre d’Ingmar Bergman, Intérieurs. Le cinéaste américain n’a jamais caché son admiration pour l’artiste suédois. Il avait déjà placé des références à Bergman dans Annie Hall (où son personnage, Alvy, refuse d’entrer dans un cinéma qui diffuse un film du maître suédois sous prétexte que la séance a débuté depuis trois minutes), mais l’influence est beaucoup plus assumée ici, dans ce drame où la moindre trace d’humour est absente (ainsi que la musique : Intérieurs est peut-être le seul film sans musique de Woody Allen).
Par contre, c’est la musique qui débute Manhattan. La musique de la Rhapsody in blue, de Gershwin : « pour Manhattan, j’avais la musique dès le départ, et il m’est arrivé de tourner des scènes supposées convenir à la musique prévue _ pour le début, par exemple. À la fin, quand je cours chez Tracy, j’ai écrit la scène pour qu’elle soit adaptée à la musique. Je savais que je voulais m’accorder un plaisir musical. » La musique, en général, tient une place à part dans les films du cinéaste : il choisit personnellement les morceaux, soit par rapport à l’ambiance qu’il cherche à implanter, soit parce que le titre ou les paroles ont un lien avec ce qui est représenté à l’écran.

Manhattan marque aussi l’apogée de la collaboration entre Woody Allen et le directeur de la photographie Gordon Willis, avec qui il fera huit films, depuis Annie Hall jusqu’à La Rose Pourpre du Caire. Le cinéaste dit qu’il a énormément appris sur la technique cinématographique en travaillant avec Willis (qui avait également fait la photographie des trois Parrain, de Coppola). Et même si la technique est, pour lui, moins importante que ce que le film cherche à dire (en particulier des personnages), il affirme avoir énormément progressé en apprenant sur le tas, alors qu’il ne connaissait rien à ce domaine en tournant son premier film.
Après cela, Woody Allen enchaînera certains succès (La Rose Pourpre du Caire, Zelig) et des films qui resteront plus discrets (Broadway Danny Rose, Stardust Memories). Il cherche constamment à varier ses films, ses styles (Zelig est tourné comme des actualités des années 30), ses images (alternant Noir et blanc et Couleurs, question qu’il se pose à quasiment chaque film), mais les sujets restent souvent identiques : le cinéma, le triste monde de la réalité, l’incompréhension entre humains…
Woody et les acteurs
Contractuellement, Woody Allen est obligé de jouer dans une partie de ses films, mais il l’apprécie de moins en moins. Il se sent limité, dans ses capacités d’acteur, à un certain type de rôle, et il doit parfois retravailler le scénario pour pouvoir s’y trouver une place. Mais il sait que le public aime le voir et a de lui une certaine image, avec laquelle il se plait à jouer.

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Barbara Hershey et Michael Caine dans Hannah et ses soeurs, 1986

Hannah et ses sœurs, sorti en 1986, réunira un plateau de rêve : l’acteur britannique Michael Caine et l’acteur bergmanien Max von Sydow. Cherchant à développer des personnages ordinaires et réalistes, Woody Allen avoue avoir du mal à trouver des acteurs américains qui correspondent à ce qu’il cherche : « c’est difficile de trouver des hommes tout simples. Pas des porteurs de flingues. Il y en a peu. Sam Waterston dans September. Denholm Elliott. Les acteurs américains, qui sont aussi bons que n’importe qui (DeNiro, Nicholson) ne sont pas neutres. Ils ont tellement de charisme… Nous produisons des héros : des Wayne, des Bogart, des Cagney. On n’a pas beaucoup d’hommes normaux, comme Fredrich March, par exemple. Notre cinéma est une mythologie, alors qu’en Europe, il y a un tas d’histoires adultes, des histoires réalistes dans lesquelles il faut un homme. Nos acteurs sont trop beaux, ils ont trop de charme, trop de charisme : Wayne, Brando. Je l’ai appris sur le tas, par les castings. Quand j’ai besoin d’un homme normal de 55 ans, c’est compliqué. »
De fait, outre les actrices habituelles (Dianne Keaton, Dianne Wiest, Mia Farrow, Judy Davis), Woody Allen a certains acteurs qui apparaissent régulièrement (Wallace Shawn, Sam Waterston, Alan Alda). Mais souvent, de nombreux acteurs ne jouent qu’un film avec lui, et la liste est impressionnante, de John Malkovitch à Leonardo di Caprio en passant par Martin Landau, Gene Hackman, Sean Penn, Hugh Jackman, Colin Farrell et même Joaquin Phoenix dans le film qui sortira cette année 2015.
Woody à New York
S’enchaîneront alors plusieurs comédies dramatiques new-yorkaises. Bien entendu, The Big Apple tient une place à part dans l’œuvre de Woody Allen, tant la ville paraît être un personnage à part entière. Pourtant, le cinéaste ne cache pas que s’il tourne le plus souvent à New York, c’est par fainéantise, parce que cela lui permet de dormir chez lui chaque soir. Cependant, dans Annie Hall, il marque bien l’opposition qui existe, selon lui, entre New York et Los Angeles, jugée plus frivole. Et on ne parle même pas de la campagne, qui le rend carrément malade : « J’aime me lever le matin et arpenter les rues, parcourir la ville, entendre la circulation, pas le bruit des vagues. »

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Woody Allen et Martin Landau, Crimest et délits, 1989

Alors, certes, New York a une importance capitale, mais ce n’est pas un New York réaliste. C’est le New York rêvé, idéalisé par les films hollywoodiens des années 40 et 50, ces comédies sophistiquées dont Woody Allen s’est abreuvé et qui constituent ses références : « je montre le New York que j’aime. J’ai toujours eu la réputation d’être un cinéaste qui fuit Hollywood et le dénigre. Et personne ne se rend compte que le New York que je montre est un New York que je ne connais qu’à travers les films hollywoodiens avec lesquels j’ai grandi : de grands appartements luxueux, des téléphones blancs, des rues magnifiques, le front de mer, les promenades en calèche dans Central Park. Ce New York existe bel et bien dans les films hollywoodiens des années 30 et 40. Le New York que Hollywood a montré au monde entier et qui n’a jamais existé réellement. »

Cela correspond aussi au New York que Woody Allen découvrait quand il était enfant. Il sortait souvent avec sa famille et, au bout d’une quarantaine de minutes de métro, arrivait en plein Manhattan, où il se plaisait à imaginer ce qui se passait dans les appartements cossus de l’Upper East Side.
Woody, Dieu et la morale
En 1989, il sort Crimes et Délits, un film très désenchanté et sombre, l’histoire d’un médecin juif (incarné par Martin Landau) qui va organiser l’assassinat de sa maîtresse (Anjelica Huston). Ce film, dont l’action se rapproche beaucoup de celle de Match Point, permet au cinéaste de développer sa conception d’une morale athée. Selon lui, pour vivre correctement, il faut d’abord admettre l’idée qu’il n’existe pas de Dieu. Accepter cette idée est le plus difficile. Ensuite se pose la question de la morale personnelle. Dans un monde sans Dieu, si un crime n’est pas puni par les hommes, il restera à jamais impuni, puisqu’il n’y a pas de justice transcendante.
« Nous devons accepter le fait qu’il n’y a pas de Dieu et que la vie est absurde, qu’elle est souvent une expérience terrible, sans espoir, et que l’amour est très difficile, et que cependant il nous faut trouver un moyen non seulement de l’accepter mais de mener une existence honnête et morale (…). Pour moi c’est vraiment une catastrophe que le monde n’ait ni dieu ni signification. Et pourtant ce n’est qu’une fois qu’on a admis cela qu’on peut mener ce que les gens appellent une vie chrétienne, c’est-à-dire une vie honnête, morale. »

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Ombres et brouillard, 1992

Woody cinéphile
La suite de la carrière de Woody Allen va mélanger des films d’influences diverses. Ainsi, Ombres et brouillard (sorti en 1992, avec Madonna et John Malkovitch) est un hommage aux films expressionnistes allemands des années 30, et en particulier à M. Le Maudit de Fritz Lang. Puis il y a Maris et femmes (son dernier film avec Mia Farrow), qui reprend l’intrigue des Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman, sous la forme d’un faux reportage, avec interview des personnages principaux et narrateur en voix off.
Puis le cinéaste va réaliser quelques projets anciens. D’abord ce sera une comédie policière, Meurtres Mystérieux à Manhattan, qui, à l’origine, était une partie d’Annie Hall, d’où la présence de Dianne Keaton. Ce film, comme beaucoup d’autres, permet au réalisateur de rendre hommage au cinéma qu’il aime, ici les films policiers, thrillers et films noirs (de Fenêtre sur cour à La Dame de Shanghaï).
Puis, étant un grand admirateur des comédies musicales, il assouvit un de ses rêves en signant Tout le monde dit I love you, où les acteurs (Edward Norton, Julia Roberts ou Woody Allen lui-même) chantent eux-mêmes.

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Woody Allen dirige Jonathan Rhys-Meyers, Match Point, 2005

Après quelques films qui seront boudés par la critique et/ou le public (Escrocs mais pas trop, Le Sortilège du scorpion de jade), Woody Allen renoue avec le succès en partant à Londres tourner Match Point, son second film ayant enregistré le plus grand nombre d’entrées à ce jour (après Vicky Christina Barcelona). Il reprend une intrigue très proche de celle de Crimes et Délits, mais en voulant moins donner l’impression de faire passer un message aux spectateurs.
« Je me disais que je devais obéir à l’histoire. Quand on écrit de la fiction, si on obéit à l’histoire, la signification se dégage d’elle-même. Et pour moi, naturellement, elle se dégagera dans un certain sens. Il y a quelques années, Paddy Chayefsky m’a dit « si ta pièce ou ton film ne fonctionne pas, coupe le moment où tu cherches à faire passer un message. » C’est exprimé de façon si brillante. Marshall Brickman disait la même chose de façon différente mais aussi pertinente, aussi juste : « le message d’un film ne doit pas être dans les dialogues. » Il s’agit d’une vérité difficile à admettre : de temps en temps on est tenté de philosopher, d’exprimer sa vision du monde (…). Mais, en vérité, si le sens ne se dégage pas de l’action, c’est que ça ne marche pas. On ne peut pas se contenter de mettre des gens autour d’une table pour leur faire dire des trucs qu’on espère spirituels. »
Désormais, Woody Allen est incontournable dans le paysage cinématographique. Alors qu’il va avoir 80 ans, il continue à faire un film par an, maîtrisant tout le processus de création de son œuvre, depuis le scénario jusqu’à la musique. Et si ses films donnent, de nos jours, l’impression d’être inégaux, il sort encore de petites pépites (Whatever Works, pour n’en citer qu’un) et les comédiens se bousculent pour jouer chez lui, malgré un cachet forcément inférieur à leur habitude. La finesse de son écriture, la priorité donnée à la création de véritables personnages qui seront le centre de l’histoire, les multiples références culturelles et artistiques se mêlent pour former une œuvre à la fois unie et diverse. Une œuvre que le cinéaste conçoit comme un tour de magie :
« Bref, vous me demandez comment j’ai fait pour durer dans ce milieu vénal, ce milieu de requins, surtout avec toutes mes carences, mes limites artistiques et personnelles, mes phobies, mes manies, mes prétentions, mes exigences, tout cela avec un talent mineur. Je vais vous répondre. Quand j’étais gosse, j’adorais la magie, et si je n’en avais pas été détourné j’aurais pu devenir un magicien. C’est ainsi, en utilisant ma science des tours de passe-passe, des fausses pistes, tous ces petits subterfuges, ces talents de showman, tout ce que j’avais appris en piochant, enfant, dans mes livres de magie, que j’ai réussi à faire illusion, et que ça dure depuis maintenant 50 ans, avec un tas de films à la clé. Houdini, Blackstone, Thurston, tous les prestidigitateurs de ma jeunesse, peuvent être fiers de moi. »

Note : sauf avis contraire, les citations de cet article sont extraite du livre d’Eric Lax, Entretiens avec Woody Allen, publié aux éditions Plon en 2008.