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Les couronnes perlées du cinéma : Zombie Strippers, quand la nécrophilie rencontre Ionesco

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Si l’on vous dit « zombie » et « cinéma », vous penserez naturellement à la saga de Romero (paix à son âme), à Shaun of the Dead, ou plus récemment à Last train to Busan. Mais il existe un classique parmi les classiques qui n’est pourtant connu que d’une niche de fans hardcore dopés au cinéma d’exploitation et aux films de genre. J’ai nommé : Zombie Strippers.

Synopsis. Dans un futur proche, Georges W. Bush a été élu pour la quatrième fois consécutive président des Etats-Unis et à décrété la nudité publique complètement illégale, rendant de ce fait tout établissement de striptease hors-la-loi. Pour répondre au grand nombre de victimes dans les nombreuses guerres engagées par Georges W. Bush, le laboratoire de recherche scientifique W crée le chimio-virus, qui ressuscite les morts et en fait des zombies. Le virus (sans grande surprise) échappe au contrôle des scientifiques et se propage au sein du complexe. Lors d’une opération militaire d’éradication de la menace, un soldat se fait mordre, s’enfuit et trouve refuge au Rhino, l’un des derniers clubs de striptease clandestins.

Considéré par certains comme un simple nanar, et par d’autres comme le messie d’une époque révolue où le Grindhouse et les midnight movies étaient rois, Zombie Strippers est de ces films qui peuvent paraître dans un premier temps comme le plus bateau des divertissements dont l’étalage de chair féminine (ou féminisée) laisse les plus débutants dans le genre crier au scandale sexiste à tout va. Mais c’est aussi et surtout un de ces films qui suscitent la curiosité, dans lequel les érudits trouveront peut-être leur Saint Graal du cinéma de « genreploitation ». Sorti le 18 avril 2008 dans les salles états-uniennes et le 28 octobre de la même année en DVD, le film connut un accueil des plus…mitigés par la critique. Rotten Tomatoes lui donne encore aujourd’hui un score de 39% pour une note moyenne de 4.6/10, tandis que le critique américain Richard Roeper a dit de ce film qu’il est épouvantable. Il ne fonctionne pas en tant que film kitsch. Il ne fonctionne pas en tant que « merde low budget« . Mais laissez-nous vous expliquer pourquoi Richard Roeper est un ignare.

« L’Enfer c’est Moi. »

Sur papier, il est vrai que le projet a de quoi faire sourire : 4e long métrage du réalisateur Jay Lee, dont aucune ses œuvres ne s’est encore réellement fait connaître du public, Zombie Strippers est aussi son premier coup d’essai dans le genre du Film de Zombies comique (il s’est par la suite réessayé à ce style avec Attack of the Vegan Zombies! en 2010 et Zommunists : The Dead Menace en 2012). Le casting fera quant à lui battre le cœur des connaisseurs. Pas moins que l’un des acteurs les plus adorés du cinéma d’Épouvante-Horreur – et pour cause l’un des meilleurs – dans le rôle titre: le maître Robert « Freddy Krueger » Englund en personne. Si ça ne suffit pas à vous donner envie de regarder le film, nous ne pouvons plus rien pour vous. Il est entouré d’actrices dont les noms vous rappelleront quelque chose « sans vraiment savoir pourquoi ». Jenna Jameson, figure de la pornographie des années 1990 et 2000, campe le rôle de la stripteaseuse zombie Kat. Parfaite dans le rôle de la veuve noire, elle joue de son sex-appeal à la perfection lors des scènes de pole dance. Malheureusement, sa performance d’actrice se fait moindre lors des scènes qui requièrent plus l’étalage de lignes de dialogue ou de mouvements de faciès que de chair… On retrouvera également Jennifer Holland dans le rôle de l’ingénue Jessy, davantage connue comme la compagne du réalisateur James Gunn ou pour ses quelques rôles dans des séries télévisées américaines que pour ses rôles dans des longs-métrages. Ainsi que Roxy Saint dans le rôle de Lilith, le stéréotype de la gothique dans tout ce que cela implique de clichés et de malaise. Roxy Saint étant avant tout une chanteuse et musicienne de Punk Rock gothique (elle est d’ailleurs, avec son groupe Roxy Saint and the Blackouts, l’interprète de quelques unes des musiques du film), son acting s’en ressent naturellement dans sa performance. L’ensemble hétéroclite du casting résulte en une performance inégale d’acteur en acteur, qui provoque d’ailleurs un malaise palpable dans certaines scènes. L’autre point noir notable du film étant son montage, qui a laissé se faufiler diverses scènes des plus inutiles. Est-ce du fait d’une volonté de rallonger la durée du film, ou peut-être est-ce un choix délibéré de l’absurde et de l’ironie ?

« Une strip-teaseuse ne fait pas de prisonnier, elle tue, pour survivre. »

En effet, Zombie Strippers n’est certainement pas un film à prendre au premier degré. La photographie vous le rappellera sans doute par des fulgurances esthétiques du plus bel effet, qui vous montreront qu’il y a bien plus à comprendre de ce film que le constat de départ. La réalisation de Jay Lee propose ainsi plusieurs lectures du film : la première s’impose tel un leurre au spectateur par une introduction particulièrement clichée où l’on retrouve les gimmicks et les codes du Film de Zombies. Zombie Strippers commence en effet par une satire politique via un journal télévisé parodique, puis par la création du virus et sa libération qui provoque l’intervention d’une escouade militaire dont les membres sont des plus stéréotypés. Les codes du genre s’y enchaînent alors bêtement, obligeant le spectateur à les regarder au second, voir au troisième degré. De fait, cette première partie résonne telle une moquerie, un sarcasme adressé au sous-genre du Film de Zombies. Un peu comme si Jay Lee nous disait: « Les voilà vos codes : c’est un Film de Zombies, maintenant si on passait aux choses sérieuses ? ». Et pour cause, la critique politique n’est pas le véritable sujet du film (contrairement à l’accoutumée du genre). Celui-ci nous proposant plutôt une réflexion autour du féminisme et la place de la femme. Un premier indice nous est donné dès la première partie du film, lorsqu’on apprend que le chimio-virus épargne l’intelligence des femmes, mais devient instable quand un homme est contaminé. Et on le comprendra également par la suite dans une scène des plus cocasses où la belle Kat zombifiée dévore le vit d’un pauvre bougre traumatisé. On peut aussi voir dans la sexualisation des corps morts continuant de danser pour le public une certaine métaphore de l’objectivation de la femme, qui est alors – littéralement – un morceau de viande pour le public masculin. Cela dit, ce n’est que lorsqu’elles meurent et reviennent à la vie que les stripteaseuses du film embrassent réellement leur sensualité et le pouvoir que celle-ci donne sur les hommes : après chaque scène de « pole dance zombie », les stripteaseuses choisissent et traînent même l’un des hommes du public dans une arrière salle, avant de le dévorer. Dans ce film, qui passe haut la main le test de Bechdel soit dit en passant, ce sont les femmes qui décident.

« Qu’est-ce que tu peux être naïve Bérenge ! Ton optimisme te perdra. »

Jay Lee a donc choisi de détourner les codes du Film de Zombies pour faire de Zombie Strippers quelque chose de plus intéressant qu’une énième comédie zombiesque. Ce qui est d’autant plus louable que les années 2000 ont foisonné de zombies cinématographiques sans saveur. Mais plus que le fond, le réalisateur a aussi choisi de jouer de la forme. En effet, le film rend un ardent hommage au cinéma d’exploitation. Les films d’exploitation, aussi appelés Grindhouses, sont des productions low-budget. Ce cinéma connut son essor dans les années 70 à 80, à la suite de la suppression du code Hays (en 1966), ce qui explique que la plupart de ces films mettent souvent en avant le sexe, la dépravation et le gore. Or, Zombie Strippers s’inclut très logiquement dans cette démarche : mettant en valeur le sexe et le gore dans sa réalisation, il a également été tourné avec un modeste budget de 1 000 000 de dollars et reprend l’imagerie propre à l’univers Grindhouse. Jusque-là, cinéma d’exploitation et zombies… Rien de très folichon. Et si nous ajoutions à cette équation des références littéraires et philosophiques ? Car le film en suppure : la strip-teaseuse Kat lit l’Œuvre de Friedrich Nietzsche, philosophe connu pour ses réflexions nihilistes, dont elle ne comprend véritablement le sens qu’après sa mort, les courants philosophiques nihilistes et existentialistes sont très souvent évoqués au cours du film, Jean-Paul Sartres donne son nom à la ville où se passe l’intrigue, et l’une des répliques les plus cultes de son œuvre théâtrale Huis Clos, « l’Enfer c’est les Autres », est même détournée par le personnage de Robert Englund en « l’Enfer c’est Moi ». On retrouve aussi des références dans les noms des personnages : Madame Blavatski (jouée par Carmit Levité) par exemple, fait référence à l’ésotériste du XIXe siècle, Helena Blavatski, et Ian Essko (joué par Robert Englund) fait référence à Eugène Ionesco, auteur et dramaturge du XXe siècle. Ce personnage n’est d’ailleurs pas la seule référence à Ionesco. En fait, Zombie Strippers est construit comme une adaptation libre d’une de ses pièces de théâtre : Rhinocéros. Cette œuvre raconte une épidémie de « rhinocérite » transformant petit à petit les habitants d’une petite ville de province en l’animal qui donne son nom à la pièce. Or, la contagion du film ressemble à celle de l’œuvre de Ionesco : d’abord anecdotique, le virus effraie puis, il se normalise et devient à la fin des deux œuvres quelque chose de presque banal. Le club de striptease dans lequel se déroule le film s’appelle de plus le « Rhino ». Enfin, l’épidémie est vécue à travers le personnage de Bérenger pour Ionesco et par celui de Bérenge (jouée par Jeannette Sousa) dans le film : les deux personnages refusant dans les deux cas de capituler et de céder à l’épidémie.

Zombie Strippers pourrait se résumer en un grand mélange de références littéraires et philosophiques dont la réalisation et la production s’inscrivent dans une exécution Grindhouse et ironique. Cet ensemble est certes imparfait, mais mérite amplement le coup d’œil. Adaptation libre du Rhinocéros d’Eugène Ionesco en film d’exploitation, l’originalité du projet est louable au sein d’un sous-genre de l’Épouvante-Horreur qui se veut tantôt trop sérieux (World War Z par exemple), tantôt pas assez (Scouts Guide to the Zombie Apocalypse). Sorti à une époque où les films de zombies se la jouaient « nouvelle génération », Zombie Strippers rappelle l’âge d’or du sous-genre, tout en proposant une approche unique et haute en couleur. Ce mélange presque déraisonnable de références intellectuelles, de gore et sexe décomplexés constitue une œuvre absurde (d’ailleurs confirmée par l’adaptation de Ionesco), ce qui semble être complètement passé au-dessus de la tête de trop nombreux critiques. Absurde et Épouvante-Horreur se sont pourtant déjà côtoyés : le classique Braindead de Peter Jackson constituait déjà en soit une œuvre burlesque et absurde dès 1992. Alors que le jeune réalisateur Jim Hosking nous gratifia en 2016, de son The Greazly Strangler, qui, plus que de faire de l’Absurde une trame de fond secondaire, en fit l’âme et le genre de son film.

Zombie Strippers : bande-annonce

Zombie Strippers : fiche technique

Réalisation : Jay Lee
Scénario : Jay Lee
Interprétation : Robert Englund, Jenna Jameson, Jennifer Holland, Roxy Saint
Direction artistique : Timmy Smith
Décors : Peggy Wang
Photographie : Jay Lee
Montage : Jay Lee
Musique : Billy White Acre
Production : Larry Schapiro, Andrew Golov, Angela J. Lee
Société de production : Larande Productions, Scream HQ, Stage 6 Films
Société(s) de distribution : Stage 6 Films, Triumph Films
Budget : 1,000,000$
Genre : Épouvante-Horreur, Comédie
Durée : 94 minutes
Date de sortie : 18 avril 2008 (Etats-Unis)

États-Unis – 2008


Cet article inaugure une série de critique sur ces perles cachés du cinéma. Nous aimerions vous faire découvrir de ce fait, des films qui mériteraient une reconnaissance qu’ils n’ont souvent que parmi une niche d’amateurs. Nous vous proposerons également (comme c’est le cas dans cet article), un début d’analyse filmique qui permettra une lecture plus évidente de chaque œuvre. Quel meilleur choix alors que ce Zombie Strippers qui, en plus de n’être connu que par (trop) peu de personne, est (trop) souvent reconnu par la majorité de ces gens comme un nanar voire comme un mauvais film. Nous espérons vous avoir démontré que la vérité est un peu plus compliquée et, surtout, vous avoir donné envie de le découvrir.

Auteur : Jeap Horckman