Le cas The Room

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Alors que The Disaster Artist arrive dans nos salles de cinéma le 7 mars 2018, il vous serait judicieux d’en apprendre d’abord un peu plus sur le légendaire film avec lequel tout à commencé : The Room.

The Room est un film racontant l’histoire d’amitié, d’amour et de trahison d’un groupe d’amis vivant à Los Angeles. Parmi toutes ses intrigues secondaires, le scénario se concentre particulièrement sur le triangle amoureux formé par Johnny (Tommy Wiseau), sa fiancée Lisa (Juliette Danielle) et son meilleur ami Mark (Greg Sestero). Alors que Lisa le trompe avec Mark, Johnny se voit refuser une promotion dans sa carrière de banquier et tombe petit à petit dans une dangereuse spirale lorsque sa fiancée change brutalement de comportement.

Quel est le rapport avec le titre du film, nous demanderez-vous ? Eh bien, selon Tommy Wiseau, l’idée du titre lui est venu lorsqu’il essayait de penser à un endroit où les gens se sentent en sûreté et ont des expériences aussi bonnes que mauvaises. Et si vous ne voyez toujours pas le rapport, sachez que ce n’est qu’un début. The Room est un film dramatique sorti le 27 juin 2003, réalisé, écrit et produit par Tommy Wiseau. Malgré sa très courte exploitation dans les quelques salles de cinéma angelines qui l’ont diffusé, ce film est très rapidement devenu un phénomène à Los Angeles mais aussi sur le net : les internautes y puisant allègrement des extraits pour agrémenter leurs meilleurs memes. Mais ça, c’était avant que James Franco n’annonce son adaptation cinématographique du roman The Disaster Artist: my life inside the room. Celui-ci fut écrit en 2013 par Greg Sestero et Tom Bissell, auteur et journaliste américain. Le roman raconte le début de carrière difficile de Sestero alors qu’il était jeune acteur, sa rencontre avec Tommy Wiseau, ainsi que la production et la création de The Room de façon plus ou moins juste. En fait, personne ne sait vraiment si les faits racontés par Sestero dans son livre sont exacts ou non. Tommy Wiseau a lui-même déclaré à plusieurs reprises qu’il ne soutenait pas à 100% le roman qui ne contiendrait que 40% de la vérité (mais qu’il pardonnait Greg Sestero qui restait un de ses meilleurs amis malgré tout). Et ainsi commencent les premières interrogations : car si les faits relatés dans The Disaster Artist ne sont peut-être pas vrais, le cas The Room est enveloppé de bien plus de mystères. Notre quête avec cet article, sera donc d’essayer de percer les secrets de ce film dans le but de comprendre comment cette simple production indépendante s’est érigée au rang de film culte.

Le Citizen Kane des mauvais films

La première chose dont vous vous rendrez compte en faisant quelques recherches sur The Room, ou même en regardant directement le film, c’est de sa réputation de mauvais films. En fait, il a même hérité du surnom de « Citizen Kane des mauvais films », signifiant ainsi que The Room serait « le plus grand des mauvais films de tous les temps ». Son surnom lui viendrait de Ross Morin, maître de conférence assistant à l’université d’état St. Cloud dans le Minnesota, pour qui The Room est « un des films les plus importants de la décennie passée », car « il expose la nature artificielle d’Hollywood » (“it is one of the most important films of the last decade (…) it exposes the fabricated nature of Hollywood »). Et il n’est pas le seul universitaire a débattre du film : Amanda Klein, maître de conférence à l’université East Carolina de Greenville, commence son cours « Trash Cinema and Taste » (littéralement « le Mauvais Cinéma et le Goût ») par montrer The Room à ses étudiants. « Wiseau ne se contente pas de quelques erreurs ; il fait toutes les erreurs (…) s’il n’avait commis que quelques erreurs le film aurait juste été moyen, un film énervant » (Wiseau doesn’t just make some mistakes; he makes every mistake, (…) if he had just made some mistakes it’d just be an average movie, an annoying movie »). De (très) nombreuses personnes à travers le net ont déjà surfé sur la hype et montré du doigt les différents défauts de The Room, s’imaginant certainement être très malin en s’en moquant. Nous insisterons plutôt ici sur la nature du phénomène autour du film.

Devenu un vrai classique incontournable, The Room bénéficie de ses groupes de fans actifs sur les réseaux sociaux notamment, de ses théories (inspirées par le fait que Tommy Wiseau a annoncé que son film avait plusieurs lectures possibles)… Certains fans vont jusqu’à recopier l’entièreté du script à des fins récréatives. Plusieurs célébrités ont annoncé être des fans du film, comme Jonah Hill, Paul Rudd, Michael Cera ou encore Edgar Wright. Kristen Bell a même déclaré qu' »il y a une certaine magie dans ce film qui est indescriptible » (« there is a magic about that film that is indescribable ») et organiserait chez elle des soirées-diffusion de The Room ; alors que le youtuber PewDiePie a confirmé à plusieurs occasions que c’était son film préféré. Notons également que, 15 ans après sa sortie, The Room continue d’être diffusé dans plusieurs cinémas, particulièrement à Los Angeles, ville où le film a été tourné et où The Room fait presque partie du folklore. Les diffusions du film sont d’ailleurs de vraies célébrations, régies par plusieurs traditions et coutumes à respecter : le public se doit par exemple de réagir en cœur aux répliques ou scènes cultes du film, ou encore doivent jeter en direction de l’écran des cuillères en plastique à chaque fois qu’une photo de cuillère apparait dans le film. Enfin, The Room n’a pas entrainé que l’écriture du roman The Disaster Artist et son adaptation cinématographique, mais s’est aussi vu consacrer des documentaires traitant du phénomène : A Room Full of Spoon, documentaire réalisé par Rick Harper en 2016, ainsi que The Room Actor: Where are they now?, faux-documentaire adapté en série disponible sur Youtube réalisé par Robyn Paris (qui jouait le rôle de Michelle dans The Room) et sorti en 2017. Cela dit, seul ce dernier vous est accessible, car Tommy Wiseau gardant jalousement le copyright de The Room, A Room Full of Spoon ne sera peut-être plus jamais diffusé : Wiseau ayant menacé de porter plainte contre tout festival qui diffuserait le documentaire.

Mais comment est-ce que The Room a pu se propulser au rang de film culte ? Il ne partait pourtant pas gagnant : malgré un budget de 6 à 7 millions de dollars, il n’en rapporta que quelques 1900 après deux semaines de programmation aux deux cinémas de Los Angeles le diffusant à l’origine, le Laemmle’s Fallbrook 7 et le Fairfax. Parmi les quelques personnes ayant assisté aux premières projections dans des salles quasiment vides, il semblerait que ce soit Michael Rousselet, réalisateur et scénariste connu pour son travail sur Cyanide and Happiness, et Scott Gairdner, réalisateur et créateur de Moonbeam City notamment, qui soient à l’origine du phénomène. Après avoir assisté à l’une de ces projections, ils sont tombés sous le charme particulier du film. Michael Rousselet a alors appelé plusieurs de ses amis pour leur conseiller de voir The Room à leur tour (« I was calling friends during the end and saying « you have to come to this movie » « ). Ils ont donc vu plusieurs fois le film dans les deux semaines de diffusion et, d’après Rousselet, ont regroupé une centaine de personnes pour assister à la dernière projection du film en guise d’adieu (« on the last day I had over 100 people there »). C’est ce groupe d’amis qui serait aussi à l’origine des rites qui se poursuivent encore aujourd’hui devant les projections du film : « le truc des cuillères a probablement commencé pendant la quatrième projection avec mes amis. J’étais genre, pourquoi y a-t’il une cuillère dans le cadre ? A chaque fois qu’elle apparaissait, je criais « CUILLÈRE! » donc on a apporté des cuillères » (« the spoon thing probably started during the fourth screening with my friends, I was like, why is there a spoon in the picture frame? Every time it came up, I’d scream ‘Spoon!’ So we brought spoons »). Ils auraient également apporté plusieurs objets en rapport avec le film lors de cette dernière projection, comme un ballon de football américain ou des roses, par exemple. C’est donc par le bouche à oreille, d’amis en amis, que le film a vu se développer un véritable culte de fans. Après les deux premières semaines de diffusion, plusieurs cinémas de Los Angeles ont redistribué le film dû à la forte demande : le Laemmle’s Sunset 5 aurait même dédié jusqu’à deux écrans à la diffusion du film. Les projections se sont d’ailleurs globalisées en dehors de Los Angeles suite à la nomination de The Disaster Artist aux Golden Globes, puisque 600 cinémas aux États-Unis ont organisé une projection du film ce 10 janvier 2018. Le phénomène n’a fait que gagner en ampleur, à un point tel que Tommy Wiseau envisage de transposer son film en comédie-musicale à Broadway, et même de le faire doubler en Français et Espagnol pour une sortie européenne ! Le film était d’ailleurs diffusé lors de séances de minuit, ce qui, étant un film indépendant, classe The Room dans la catégorie des Midnight Movies et en fait, même, le dernier Midnight Movie sorti après Eraserhead. Au final, ce qui a permis à The Room d’intéresser tant de personnes et ainsi de se propager jusqu’à devenir un véritable classique, c’est avant-tout son incroyable capacité à produire des moments et des dialogues cultes mémorables et facile à citer. Pour donner une idée de ces moments à ceux d’entre vous qui ne connaitraient pas encore le film, nous vous en proposons ci-dessous un florilège, regroupés par le youtuber Rodritoledo94.

Une légende urbaine vivante : Tommy Wiseau »

Le phénomène The Room n’aurait certainement jamais existé sans la personnalité unique de son réalisateur et acteur principal. Car si une bonne légende est forgé entre autre sur le mystère, Tommy Wiseau est probablement l’une des plus grandes légendes vivantes du cinéma. Et pour cause, sa propre identité est entourée de mystères. Très évasif face aux questions le concernant, il refuse même de répondre à certaines d’entre elles : « ma vie privée est ma vie privée » (« my private life is my private life ») répond-il avec fermeté. S’il affirme généralement avoir grandi à la Nouvelle-Orléans en Louisiane, il laisse passer quelques bribes de son passé dans certains interviews, et clame être originaire d’Europe et s’être choisi les États-Unis comme pays d’adoption. Wiseau n’a cependant jamais avoué son âge exact : il a affirmé lors d’une interview datée du 16 février 2010 avoir 41 ans, soit être né en 1969. Cependant, dans The Disaster Artist, Greg Sestero prétend qu’il serait né bien plus tôt que ce qu’il affirme, dans un pays d’Europe de l’Est dans les années 50′. Rick Harper pense avoir trouvé la véritable origine de Tommy Wiseau dans A Room Full of Spoon. Selon lui, Wiseau serait né en Pologne, à Poznań le 3 octobre 1955, et son nom de naissance serait Piotr Wieczorkiewicz, ce qui confirmerait la version des faits de Greg Sestero. Voici ce que l’on peut retracer de la vie de Tommy Wiseau avec les quelques éléments connus, bien que tout cela n’a été en aucun cas confirmé par le principal concerné : Piotr Wieczorkiewicz a grandi en Pologne avec une grande passion pour les icônes hollywoodiennes des années 50 (notamment James Dean, auquel il fait référence dans The Room avec la réplique « you’re tearing me apart! »). Cette passion le conduit à fuir la Pologne, alors satellite de l’URSS, et à s’installer à Strasbourg. Selon Sestero, à qui Wiseau aurait révélé une partie de sa vie à travers « de fantastiques et auto-contradictoires histoires » (« fantastical and self-contradictory stories »), il adopta alors le prénom de Pierre (Piotr en français), puis de Thomas, et travailla comme plongeur pour un patron de restaurant abusif. Il va ensuite vivre à Paris dans les années 80, où il vit de la vente de yoyos et d’oiseaux en jouet (probablement de ce type) sur les grands lieux touristiques de la capitale. Ce commerce lui permet d’amasser suffisamment d’argent pour rejoindre une partie de sa famille vivant à la Nouvelle-Orléans. Sestero raconte que cette fuite aux États-Unis ferait suite à un raid de police dans une maison de la jeunesse pour contrer un trafic de drogue au cours duquel il se serait fait arrêter à tort et maltraiter par la police française. Par la suite, on ignore pourquoi Tommy Wiseau quitte sa famille et trouve refuge à San Fransisco : d’aucuns stipulent qu’il aurait subit de mauvais traitements. Dans tous les cas, il reprend son activité de vendeur d’oiseaux en jouet à San Francisco, et se fait un nom dans cette activité. Il aurait alors hérité du surnom de « birdman » (l' »homme-oiseau ») dont il fera son patronyme : Thomas devient Tommy et « birdman » devient « oiseau », qu’il écrira « wiseau » certainement dans un but américanophile. Piotr Wieczorkiewicz est dorénavant Tommy P. Wiseau. La vente de jouet lui fournit suffisamment d’argent pour réaliser l’achat et la vente de propriétés, et il se lance dans la foulée dans le commerce de vêtements, principalement de jeans, en créant sa propre marque : « Street Fashion USA » (détenue aujourd’hui par Greg Sestero). D’ailleurs, la propriété du 548, Beach Street à San Francisco lui appartient toujours, et on peut y voir l’enseigne de l’ancien magasin Street Fashion USA sur son flan, ainsi qu’un immense jean publicitaire devant une affiche de The Room.

Ce serait donc en véritable businessman, aidé uniquement de sa débrouillardise et de son incroyable sens des affaires que Tommy Wiseau est devenu millionnaire en étant parti de rien : il est ainsi l’incarnation même du rêve américain. Cet aspect du personnage de Tommy Wiseau est trop peu connu : notamment parce qu’il n’a jamais rien avoué de tout cela, mais aussi parce que l’opinion publique ne voit en général en lui que le réalisateur d’un nanar. Si l’on peut supposer que son passé de grand businessman lui a laissé assez d’économie pour financer les 6 à 7 millions de dollars utilisés pour la production de The Room, Wiseau rechigne à évoquer d’où il tenait l’argent. Il a toutefois avoué au cours de quelques interviews que l’argent lui venait de l’importation depuis la Corée et la vente de vestes de cuir américaines conçues par ses soins. « Si tu travailles, tu dois économiser de l’argent, n’est-ce-pas ? Je n’ai pas reçu l’argent du ciel. Je me préparais, disons ça comme ça » (« if you work, you have to save money, right? I didn’t get money from the sky. I was preparing, let’s put it this way”). Mais l’homme s’étant entouré de secrets, certains théorisent que le film ne serait qu’une grande manœuvre de blanchiment d’argent, thèse qu’ils appuient sur la somme astronomique dépensée pour faire le film, qui ne se ressent pourtant pas dans le résultat final ; et sur le fait que Tommy Wiseau a créé sa propre société de production (« Wiseau Films ») pour produire The Room. Vous l’aurez deviné, le film comme son réalisateur, ont suscité beaucoup de spéculations et d’imagination de la part de leurs fans.

« Quand j’ai rencontré Tommy pour la première fois dans un cours de théâtre à San Francisco, c’était quelqu’un que je considérais comme un personnage fascinant qu’on aime juste voir exister. Son film était une extension de cela » à déclaré Greg Sestero dans une interview pour Channel Awesome. « Fascinant » est un excellent choix de mot pour décrire le personnage qu’est Tommy Wiseau. Au-delà de l’aura de mystère qui l’entoure, il faut admettre qu’il a un physique reconnaissable entre mille, souvent moqué comme étant celui d’un vampire. D’ailleurs, Greg Sestero rapporte que The Room devait comporter une scène dans laquelle Johnny volerait au-dessus du toit de sa maison dans sa voiture, révélant ainsi aux autres personnages qu’il était en fait un vampire. N’ayant pas trouvé de technique entrant dans le budget du film pour faire voler la voiture, Tommy Wiseau a finalement dû supprimer cette intrigue secondaire du scénario final. A son physique se rajoute aussi sa façon de parler très particulière, avec un accent étrange que l’on devine européen. Dans The Disaster Artist, Sestero évoque comment Tommy Wiseau a survécu à un accident de voiture, ce qui l’aurait poussé à poursuivre son rêve de cinéma. Certains supposent que ce même accident lui aurait causé des lésions cérébrales, lui provoquant une paralysie faciale partielle et une difficulté à s’exprimer. Mais plus qu’un physique, Tommy Wiseau c’est aussi aussi une extraordinaire personnalité. Souvent taxé d’une grande gentillesse, il a régulièrement participé aux projections de son film, organisant dans la foulée des moments questions-réponses avec le public présent. Il est aussi connu pour ses répétitions de conseils presque christiques comme : « soyez bon! » (« be good! »), ou « s’il-vous-plaît ne vous faites pas de mal les uns les autres » (« please don’t hurt each others »). Sans oublier sa réplique culte dans The Room : « if a lot of people loved each others, the world would be a better place to live », que l’on peut traduire par : « si plus de personnes s’aimaient entre eux, le monde serait un meilleur endroit où vivre ». Il paraîtrait même que si vous commandez un DVD du film sur son site internet et demandez à ce qu’il soit dédicacé dans lors de la commande, Wiseau accéderait à votre demande. Pourtant, cet aspect gentillet semble cacher une autre facette de sa personnalité. L’équipe de tournage du film ainsi que les acteurs racontent souvent à quel point Tommy Wiseau était impossible à vivre sur le tournage : se comparant à Alfred Hitchcock ou Stanley Kubrick, et évoquant à quel point ceux-ci étaient aussi tyranniques sur un plateau de tournage. Beaucoup prennent comme preuve de son comportement les nombreux conflits entre lui et l’équipe de tournage, qui ont provoqué différentes démissions et licenciements. Entre autres, deux directeurs de photographie accompagnés de leurs équipes ont démissionné ainsi que 3 acteurs qui ont dû être remplacés (ce qui explique l’apparition ou la disparition inexpliquée de personnages au cours de l’intrigue du film). Ces nombreux changements d’équipe seraient également responsables du budget élevé du film. Dan Janjigian, l’interprète de Chris R, se souvient de l’ambiance du tournage : « c’était le bordel. Vous pouviez entrer et voir un casting et une équipe complètement différente » (« it was just mayhem. You could come in and it would be a completely different cast and crew »). Beaucoup pensent d’ailleurs que The Room n’est que le reflet d’un narcissisme exacerbé chez Wiseau, principalement parce que son personnage est couvert d’éloge au cours du scénario mais aussi parce que l’affiche du film se compose uniquement que de son visage en gros plan. D’après Greg Sestero qui lui aurait fait une remarque à ce sujet, Tommy Wiseau a répondu que le film ne se vendrait pas si l’affiche était différente (il aurait d’ailleurs répondu la même chose pour justifier sa nudité dans l’une des scènes du film). Pourtant, « J’étais très joyeux avec tout le monde » (« I was very happy with everyone ») explique Wiseau, « Certains membres de l’équipe, c’est vrai, on en a changé 3 fois en fait. Ils disent, « c’est comme ça qu’il faut faire, et cetera, et cetera.. » je dis, « non! »  » (« I was very happy with everyone », « some of the crew members, it’s correct, we changed three times basically. Because they tried, for example, to change the script. They say, « this is the way to do, etcetera, etcetera.. » I say, « no! » »).

« The Room est-il vraiment un mauvais film?

Mais la question que l’on est en droit de se poser après tout est : The Room est-il vraiment un mauvais film ? Et la réponse peut être concrètement oui. Aussi bien sur le plan du scénario, de l’acting, du montage, de la musique ou même techniquement parlant, The Room n’a que très peu d’éléments de cinématographiquement réussi. Aucune seconde du film n’est vraiment qualitativement acceptable, si ce n’est peut-être l’apparition du seul personnage sensé du film : le chien de la fleuriste (amicalement appelé Doggy par Tommy Wiseau et les fans du film). Toutefois, la réalité est peut-être un peu plus complexe que ce simple jugement primaire. La première raison à cela, est la possibilité que The Room ne soit en fait pas un Drame mais une Comédie. Or, ce changement de genre expliquerait non seulement le ridicule du film et les rires qu’il provoque, mais changerait aussi complètement le regard que l’on porte sur lui : si un film qui a pour but de faire rire arrive à ses fins, comment peut-on affirmer qu’il n’est pas un bon film ? C’est en fait Tommy Wiseau lui-même qui a affirmé, suite à la popularité de l’humour involontaire du film, que The Room était en partie une comédie noire ironique, et que l’aspect comique du film était bel et bien intentionnel. Mais cette affirmation est souvent mise en doute par le public et même par les acteurs du film, pour qui Tommy Wiseau avait vocation à faire de The Room un drame depuis le début : Wiseau mentirait en fait sur ses intentions premières dans le but de couvrir l’échec de son film. Ce contre-argument est plausible si l’on choisit de considérer Wiseau comme l’orgueilleux et impossible à vivre réalisateur dépeint dans The Disaster Artist. Cela dit, Wiseau a prouvé qu’il savait faire preuve d’ironie et d’auto-conscience depuis The Room, notamment dans son Tommy Wi-show sur Youtube, en faisant volontairement les choses de manière mauvaise dans un but humoristique : soit ce qu’il prétend avoir fait pour The Room. Là-dessus non plus, nous ne saurons peut-être jamais le fin mot de l’histoire. Mais pour Wiseau, « tout a été fait de manière parfaite » dans son film (« let’s assume we did everything the perfect way »).

Que les gens le croient ou non finalement, Wiseau s’en fiche car il est selon lui arrivé à ses fins: « Ils disent « ouais, il se moque de lui », ça n’a pas d’importance. Plus il y a de rires mieux c’est ! Donc je pense que parfois les gens ont tendance, de manière générale, à agir de telle façon mais pour moi, c’est bien plus drôle de les voir médire de The Room » (« they say, « oh yeah, they’re laughing at him« , it doesn’t matter. The more laughing the better, what the heck you know? So I think sometimes people have a tendency to, I say general speaking, to go in the places that actually for me it’s much more laughable when they gossiping about The Room« ). Comme le fait justement remarquer Clark Collis dans un article daté du 12 décembre 2008, le fait que le comique du film soit volontaire ou pas n’a pas d’importance. Wiseau voulait que The Room provoque une réaction et distrait son public, et c’est ce qu’il a réussi à faire (“I want people to have fun with it, and if they do, I did my work as an entertainer”). En effet, Tommy Wiseau fait très souvent remarquer dans ses interviews que la finalité première de son film était de faire plaisir, de faire passer un bon moment aux gens, que ce soit en les faisant rire ou en le faisant pleurer : « vous pouvez rire, vous pouvez pleurer, mais s’ils vous plaît ne vous faites pas de mal les uns les autres » est en quelque sorte devenu sa devise tant il aime le répéter à qui veut l’entendre (« you can laugh, you can cry, but please don’t hurt each other »). D’aucuns y verront sûrement un mensonge pour vendre son film considérant son passé de businessman. De fait, The Room est sorti à une période où le marché du cinéma commençait à être saturé de blockbusters et de grosses-productions du marketing hollywoodien en tout genre. En s’inscrivant dans une démarche des plus simples, tout bonnement faire passer un bon moment au public, The Room allait à l’opposé de ce qui dominait le marché du cinéma, soit les films construits sur l’étude de marché et produits dans le but principal de le rentabiliser. The Room est unique car il plait aux gens, parce qu’il ne correspond pas à la majorité des films qu’on leur propose : il ne correspond même pas à la qualité que l’opinion publique se fait d’un bon film. The Room est différent, que ce soit dans sa démarche première ou dans sa qualité douteuse, et c’est principalement pour cette raison qu’il a su plaire à son public. Et en ce sens, The Room s’est imposé comme une certaine icône de la contre-culture hollywoodienne de plus en plus présente à cette période. Connaissez-vous beaucoup de films ayant inspiré un culte de fans à une si petite échelle (si ce n’est Troll 2 ou The Rocky horror picture show, auxquels il est souvent comparé) ? L’amour que ses fans lui portent peut presque s’apparenter au phénomène Star Wars, alors que The Room est un film indépendant n’ayant eu à peine que deux semaines de projection à sa sortie tandis que Star Wars est la représentation parfaite et iconique du cinéma blockbuster mainstream. Lors de son discours aux Golden Globes cette année, James Franco à rapporté ce que Tommy Wiseau aurait écrit par message téléphonique à Greg Sestero: « Je n’attends pas Hollywood je fais mon propre film! » (« I don’t wait for Hollywood I make my own movie »). Ce qui résume bien ce fait : The Room s’oppose dès ses origines au marché filmique hollywoodien. C’est au final sûrement ce que Ross Morin insinuait avec « il expose la nature artificielle de Hollywood » : The Room ne suit pas les carcans imposés par le marché hollywoodien : il est unique. En ayant choisi une démarche des plus simples et basiques, Tommy Wiseau a su toucher et atteindre son public. Amanda Klein pense quant à elle, que Tommy Wiseau n’a rien fait de mal, au contraire : « il n’y a pas de règles dans le Cinéma (…) vous devriez pouvoir faire ce que vous avez envie » (« There are no rules in cinema (…) you should be able to do what you want »). Ainsi, The Room est un film qui restera constamment dans l’air du temps : chacun y trouvera toujours une source d’étonnement, de rire, voir de profond désarroi. Mais surtout, The Room nous fait nous demander ce qui fait la nature du Cinéma, et même de l’Art en tant que média : ne doit-on pas considérer la qualité d’un film, ou d’une œuvre d’art, uniquement sur son aspect technique ou sa valeur esthétique? Ou au contraire, est-ce que la richesse d’une œuvre ne viendrait pas plutôt de ce que chacun d’entre nous peut y voir et en retirer?

Dans le meilleur des cas, The Room est une comédie réussie, puisqu’elle parvient à faire rire son public. Et ce, même si le rire est dirigé contre le film lui-même. Dans le pire des cas, c’est un nanar qui a le mérite de pousser à la réflexion sur ce qui fait ou non un bon film. The Room est donc une œuvre particulièrement méta, puisqu’elle s’ancre dans une réflexion autour du média même du Cinéma. N’est-ce pas là l’apanage des grands films ? Que cela soit voulu ou non, c’est au final sûrement ce constat (inconscient ou non) qui a propulsé The Room au rang de film culte.

Un indice quant à cette réflexion cinématographique nous est peut-être donné par Tommy Wiseau lui-même qui, après avoir été interrogé sur la double facette Drame-Comédie de son film, répond : « In any movie you have to have different flavors, and it is up to the audiences how they react to them » (« Dans tout film il doit y avoir plusieurs saveurs, et c’est au public de décider comment ils y réagissent »).

Pour les plus bilingues d’entre vous, voici une interview de Tommy Wiseau donnée par The Portland Mercury qui vous en apprendra plus sur lui, ainsi que cette autre interview menée par Ben Yakas dans Arts & Entertainment.

Auteur : Jeap Horckman