A-transformacao-de-Canuto-homme-Jaguar-clap2024
Canuto ou la légende de l'homme devenu jaguar

Les brèves de CLaP 2024 : deuxième édition du festival de cinéma latino-américain de Paris

Lili Mac Redactrice LeMagducine

Fort du succès de sa première édition en 2023, le festival CLaP 2024 persiste et signe ! Huit films en compétition officielle aux propositions cinématographiques pointues et exigeantes, six films hors compétition et une série de courts métrages de neuf pays d’Amérique latine ont été projetés dans de mythiques salles parisiennes, comme le Grand Action, le Saint André des Arts, l’Archipel ou le Reflet Médicis. Le cercle des partenaires s’élargit autour de ce jeune festival très remarqué, puisque Les Cahiers du Cinéma (entre autres) sont désormais de la partie. Certains films ont fait leur première européenne ou parisienne. Morceaux choisis en attendant, très impatiemment, la troisième édition en 2025.

« A transformação de Canuto » : l’homme jaguar
A transformação de Canuto (d’Ernesto De Carvalho et Ariel Kuaray Ortega, Brésil, Argentine, 2023, 130 min), Grand Prix du festival CLaP 2024, évoque la légende de Canuto, l’homme qui se transforma en jaguar il y a de nombreuses années, chez les Mbyá-Guarani, une communauté vivant dans la forêt amazonienne. Conservant le mystère du mythe qu’il ne peut d’ailleurs résoudre, le film se place aux frontières du réel et du surnaturel, du documentaire et de la fiction. Il tente de mettre des images sur l’inexplicable et des mots sur l’intraduisible. Cette pièce maîtresse du festival est un film des mémoires : géographique, historique et anthropologique.

« El realismo socialista » : le phénix
El realismo socialista (Raoul Ruiz, Valeria Sarmiento, Chili, 2023, 78 min) revient d’entre les morts ! Ce film exceptionnel, tant par son propos que par sa genèse, a fait sa première parisienne grâce au festival CLaP et au travail acharné de Valeria Sarmiento, veuve de Raoul Ruiz, qui a remué ciel et terre pour qu’il voie le jour… 50 ans plus tard. En effet, le tournage situé entre 1972 et 1973 a été interrompu par le coup d’Etat d’Allende et n’a jamais repris à l’époque, faisant tomber le projet dans l’oubli. Cette œuvre, militante, radicale et révoltée, a été recomposée à partir d’archives et de rushes en noir et blanc.
Entre documentaire et fiction, « El realismo socialista » tente de tisser un dialogue entre le monde ouvrier, les intellectuels-poètes et les petits bourgeois, qui s’affrontent dans une réthorique très politisée. Balançant sans cesse de l’amitié souhaitée à l’opposition cruelle, il dépeint une époque et une société révolues, réservoirs en tension d’une lutte des classes qui finit par éclater et se termine, comme de bien entendu, dans un bain de sang.

« A invençao do outro » : les uns, les autres
A invençao do outro (Bruno Jorge, Brésil, 2023, 144 min) est un documentaire FASCINANT qui suit une expédition menée par la Fondation nationale des peuples autochtones (Funai), en totale immersion dans la forêt amazonienne. Une entreprise risquée pour aller à la rencontre des indigènes vivant sur un territoire jouxtant le Brésil, le Pérou et la Bolivie et pour retrouver des membres d’une tribu égarés dans la jungle. Le film se déploie sur près de deux heures trente, laissant souvent la caméra tourner en plans séquences hypnotisants. L’invention des autres porte bien son nom. Fraternel et extrêmement spectaculaire.

« El polvo » : poussière d’amour
El polvo (de Nicolás Torchinsky, Argentine, 2023, 73 min) présenté en première européenne au Saint André des Arts par le festival CLap.
Un film pudique et déroutant sur le deuil de Julio-Juli, artiste trans, oncle-tante du réalisateur. Les vivants, confinés dans un respectueux hors-champ (on ne voit que leurs mains affairées), vident son appartement en commentant les trouvailles qu’il recèle. Accomplissant ces gestes rituels, ils libèrent aussi la parole qui leur permet de faire « reconnaissance » avec l’artiste. Celle-ci n’apparaît que sur des archives filmées d’une pièce du dramaturge argentin Copi, où il-elle laisse libre cours à sa personnalité exubérante. La lecture de textes intimes découverts sur les lieux vient parfaire cet émouvant portrait, qui témoigne également de la grande sensibilité du réalisateur.

« Medea » : le ventre vide
Medea (Alexandra Latishev, Costa Rica, 2017, 70 min), variation sur le mythe de Médée, est un film dérangeant et difficile à défendre. Et pourtant, il touche à des thèmes majeurs : la maternité refusée, le corps ignoré, l’identité troublée. Il peut susciter rejet ou dégoût, mais aussi une certaine fascination. Comme celle que l’on ressent pour María José, incarnée par l’étonnante et très physique Liliana Biamonte. Celle-ci nourrit le film de son corps à chaque plan, alors même que son personnage refuse la chair de sa chair. Une scène particulièrement difficile fera date. Pour des yeux avertis.

« Los Bilbao » : du cœur et de la testostérone
Los Bilbao (Pedro Speroni, Argentine, 2023, 73 min) est un pluriel bien singulier. Il désigne les Bilbao, une drôle de famille dont le chef, Ivan, sort tout juste de prison. Ancien boxeur, il renfile les gants, règne sur son quartier et se fait craindre plus que respecter. Los Bilbao, c’est aussi une femme solide et maternelle, Yamila, et sa gamine espiègle, élevée par Ivan. On ne sait pas trop à quoi s’en tenir. Ce film est-il un portrait réel, une fiction, un documentaire ? Il brouille les pistes, mais qu’importe, c’est le spectacle qui compte. Celui de la personnalité explosive d’Ivan Bilbao qui règle ses comptes avec son passé et attend la naissance, pleine de promesses d’un enfant de son sang. 

« Estranho Camino » : t’es où, papa, où t’es ?
Estranho Camino (Guto Prente, Brésil, 2023, 83 min), a reçu une mention spéciale du jury du festival. C’est effectivement un petit ovni cinématographique relatant le parcours semé d’embûches qui mène un jeune cinéaste, David, jusqu’à son père dont il est séparé depuis des années. Ce dernier, un ours mal-léché vit en ermite dans un appartement capharnaüm et écrit des bouquins de développement personnel prônant les relations harmonieuses, alors même qu’il a coupé les ponts avec sa famille. Les retrouvailles, la perte puis le deuil forment avec humour et tendresse ce long chemin (camino) sur fond de confinement, donnant parfois lieu à des scènes oniriques qui frisent le psychédélique…

Palmarès

– Le prix Grand CLaP (décerné par un jury professionnel) a été attribué au film A transformação de Canuto, des cinéastes brésiliens Ariel Kuaray Ortega et Ernesto de Carvalho. Le jury a également décidé d’attribuer une mention spéciale au film brésilien Estranho Caminho, du cinéaste Guto Parente.
– Le prix CLaP des Universités (décerné par un jury étudiant des différentes universités partenaires) a été attribué au film El polvo du réalisateur argentin Nicolás Torchinsky.
– Le prix CLaP du Public (décerné par le public du festival) a été attribué au film Guapo’y, de la réalisatrice paraguayenne Sofía Paoli Thorne.