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Prévert et Grimault : leur influence poétique sur l’univers des films du Studio Ghibli

Comment l’univers poétique et cinématographique de Prévert et Grimault a pu inspirer l’atmosphère des films de Isao Takahata et de Hayao Miyazaki : un mélange de réalisme et de poésie onirique et fantaisiste mais aussi critique de la société.

L’influence et l’importance de Prévert et Grimault dans les films du Studio Ghibli

Prévert et Grimault avec Le Roi et l’oiseau (1980) ont eu une grande influence sur les œuvres de Takahata et de Miyazaki parce que ce film aborde des messages forts (la liberté, l’amour). Même s’il s’agit d’un dessin animé pour enfants, Grimault s’attache à dessiner des aquarelles avec un tracé très soigné et subtil ainsi que des couleurs très nuancées. Le Studio Ghibli s’inspire des aquarelles qui s’approchent beaucoup des estampes japonaises, ce qui donne à ces films cette finesse du trait et la beauté de l’image.

Dans Le roi et l’oiseau, il existe un réalisme social mélangé à une fantaisie et une légèreté. Prévert avait auparavant travaillé avec Marcel Carné dans le registre d’un certain réalisme noir avec une dimension de fatalité. Mais cette fatalité n’existe pas chez Grimault et lorsque le dessinateur et le poète travaillent sur Le roi et l’oiseau (sorti en 1980, après la mort de Prévert), ils adaptent à leur manière le conte d’Andersen de La Bergère et le ramoneur. Les créateurs du Studio Ghibli s’inspireront aussi de littérature japonaise (roman, conte, manga) qu’ils adapteront tels Le tombeau des lucioles, Le conte de la princesse Kaguya, La colline aux coquelicots. La construction et la thématique du Roi et l’oiseau sont inspirés de Métropolis de Fritz Lang (1927) : esprit de verticalité : (ville haute/ville basse), thématique de la révolte contre le pouvoir ; dans Le roi et l’oiseau, tous ceux de la ville basse, qui n’ont jamais vu la lumière du ciel, décident de se révolter contre le pouvoir. Cette absence de lumière symbolise l’obscurantisme. Dans Le Roi et l’oiseau, lorsque le jeune couple d’amoureux arrive à accéder au toit du château, ils aperçoivent pour la première fois les étoiles. Cette délectation du ciel par les amoureux peut faire penser au poème « A la belle étoile » (Histoires) où un homme qui couche dehors n’a pas pour autant vu d’étoiles. Le réalisme sera très présent surtout dans les films de Takahata qui aime traiter des thèmes durs comme la guerre vécue par deux enfants dans Le tombeau des lucioles et ses références au cinéma néo-réaliste. Dans les films de Miyazaki et de Takahata, le réalisme comme la nature tiennent une place importante, ils peuvent même avoir des portées symboliques et fortes, comme dans Princesse Mononoké et Nausicaa de la vallée du vent, dans leur portée écologique. Le réalisme et la poésie de Prévert qui évoquent aussi bien la beauté du monde que sa cruauté et ses luttes se retrouvent dans beaucoup de films du Studio Ghibli et permettent un équilibre à l’histoire en atténuant des passages durs par des moments heureux, émouvants et nostalgiques.

Dans le dessin animé de Prévert et Grimault le pouvoir est incarné par la figure du roi, imbu de lui-même, mégalomane, vivant seul dans son château extravagant. Tout y est à son effigie : il se voue un véritable culte de la personnalité; une haie porte son visage, comme les usines qui fabriquent ses statues. Il a pour adjuvants des policiers stupides et un robot géant. Prévert voulait faire référence à tous les dictateurs de l’Histoire. Le roi aime la bergère qui elle n’aime que le ramoneur. Le roi va vouloir se marier avec elle et la forcer malgré elle à se marier avec lui. Si l’on confronte Le Roi et l’oiseau et le premier film de Miyazaki : Le Château de Cagliostro nous retrouvons cette même situation, une jeune fille mariée à un despote. Le pouvoir est symbolisé par le fait que dans le ciel circulent les policiers et leurs engins volants pour tenter de capturer soit l’oiseau soit le jeune couple d’amoureux. Cette importance de la verticalité nous la retrouvons en outre dans Kiki la petite sorcière et Le château dans le ciel, Le tombeau des lucioles. Le ciel peut être aussi bien que chez Prévert et Grimault, lieu de conflit ou lieu de bonheur, d’harmonie et de fantaisie.

La critique du pouvoir par Prévert se concentre sur le personnage du roi et passe par l’introduction d’un robot géant qui a des fonctions tout d’abord destructrices puis qui va finalement servir le bien; il détruit le palais et expédie le roi dans le cosmos, et dans la scène finale il choisit de libérer l’oisillon de sa cage et d’écraser celle-ci. Il adopte l’attitude du Penseur de Rodin. Ce personnage de robot inspirera Miyazaki notamment avec le robot de Laputa dans Le château du ciel qui prendra la même décision. Cependant, si le robot décide de se révolter contre le roi, il va en être de même pour ceux qui étaient capturés au sein de la ville basse avant de se révolter contre le roi : humains et fauves. Nous retrouvons cette thématique contre le pouvoir dans Le château dans le ciel, film dans lequel les deux enfants, Sheeta et Pazu vont s’insurger contre celui qui l’incarne : Muska. Comme dans Le roi et l’oiseau, c’est grâce à l’union et la complicité des deux enfants, comme étaient unis ceux qui étaient retenus dans la ville basse malgré eux, qu’ils arrivent à détruire le pouvoir en place.

Le seul adversaire du roi est l’oiseau. L’oiseau est un symbole très important chez Prévert, il est extrêmement présent dans l’oeuvre poétique de l’auteur. L’oiseau est le porte parole de Prévert : il incarne la liberté de parole mais aussi la beauté artistique. Dans le dessin animé, il est le narrateur mais aussi l’acteur de l’histoire. On trouve déjà cette liberté et cette gouaille dans le personnage de Garance des Enfants du Paradis, film très connu au Japon et vu par Takahata durant ses études. Pour Prévert, être acteur c’est agir, c’est lutter. Cette liberté incarnée par l’oiseau se retrouve chez Ghibli dans la joie de vivre des enfants et leur liberté d’expression,; Kié, une petite fille futée et pleine d’humour face à des adultes de tout genre.; le spectateur voit le film à travers les yeux de cette enfant; Setsuko, bien qu’elle soit malade et qu’elle vive en temps de guerre, est heureuse de vivre et d’être aux côtés de son frère, Seita, qui, adolescent, critique le monde dans lequel il vit. Sheeta, entreprenante, frondeuse, se confronte à Muska, symbolisant le pouvoir.

Il y a aussi dans Le roi et l’oiseau le thème de la représentation, qui est très riche, et de la mise en abyme. En effet, la bergère et le ramoneur sont prisonniers dans des tableaux du château et s’aiment en secret. Enfin, le ramoneur se révolte contre le roi et lui lance un fruit qu’il a pris d’un arbre du tableau. Le roi reçoit le fruit sur son visage et traverse la tapisserie avec le cheval statufié. La fuite des deux amoureux du château est pleine d’embûches comme le feu dans la cheminée qui les empêche de monter, mais une jeune paysanne va déverser l’eau de sa cruche pour éteindre le feu, référence possible à La cruche cassée de Greuze. La paysanne devient alors adjuvante au couple. Mais ce qui est vraiment caractéristique dans Le roi et l’oiseau, c’est le motif du double, de la représentation. Il existe deux rois dans le royaume : celui du château et celui du tableau. Le roi du tableau va évincer le véritable roi par les terribles trappes du château. Nous sommes souvent dans l’illusion et dans la représentation. Ce motif de de la scène est déjà très présent dans Les Enfants du Paradis avec le mime Deburau et l’acteur Fréderick Lemaître. Les usines de manufacture du roi rappellent celles des Temps modernes de Charlie Chaplin, qui faisait dans ce film une critique du travail à la chaîne. Le motif du double sera présent dans Le tombeau des lucioles : Seita meurt au début du film, mais son personnage se dédouble et le fantôme de Seita regarde la scène de son agonie.

Grâce au Roi et l’oiseau, Prévert s’exprime aussi sur la littérature et l’écriture. Le vieil homme sous forme de statue de pierre dans le château incarne la tradition par excellence et déclame des règles auxquelles on ne peut pas déroger comme les fins des contes classiques : « les bergères épousent les rois ». Prévert fait un clin d’œil au spectateur et lui montre ainsi qu’il fait une entorse à la règle classique. Lorsque ce personnage explique de toutes les manières que le mariage ne peut pas se faire entre les deux amoureux « parce qu’ils n’ont pas la même couleur » (peau blanche/ suie), Prévert évoque implicitement le racisme. Dans Le roi et l’oiseau, au début du dessin animé, lorsque l’oiseau présente l’histoire « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, l’histoire que nous allons avoir l’honneur et le plaisir de vous conter est une histoire absolument véridique. Parfaitement, elle est véridique : elle est arrivée à moi, et à d’autres en même temps… », Prévert et Grimault interrogent le spectateur sur l’importance de la fiction. Cette interpellation peut faire penser à l’Avant-propos de Boris Vian dans L’Écume des jours (1947) : « Cette histoire est entièrement vraie puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre » (Prévert et Vian faisaient d’ailleurs partie du Collège de Pataphysique). Avec Le tombeau des lucioles, Isao Takahata interpelle aussi le spectateur en faisant de Seita un héros-narrateur, pour le faire réfléchir sur cette histoire en montrant dès le début qu’il s’agit d’une histoire inspirée d’une histoire vécue.

Pour finir n’oublions pas d’évoquer la musique dans l’œuvre de Prévert et Grimault, qui occupe une place très importante : la musique des mots, les chansons de Kosma, la musique de Kilar pour Le Roi et l’oiseau et la musique interne : la chorale de l’oiseau avec ses oisillons, le joueur d’orgue de barbarie, les cors de chasse ou encore la marche nuptiale de l’orphéon mécanique niché dans le robot. Cette diversité de musiques souligne la richesse de tons et d’émotions exprimés par les créateurs. Dans les films du Studio Ghibli, la musique va aussi avoir une place prépondérante. Elle permet aussi de transmettre différentes émotions fortes lors de séquences sans parole : muettes mais inoubliables.